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hochant la tete: --Louis, je t'ai fait une petite selle de gigot. La viande est chere en ce moment; mais j'etais contente de te faire une petite selle de gigot, tu aimes tant ca! Que venait faire, dites-moi, cette selle de gigot au milieu de mon tourment? A-t-on vraiment idee de parler cuisine a un homme frappe par l'injustice, a un homme en proie au desespoir et a la fureur? Cette selle de gigot me remplit d'humiliation, elle me couvrit, pour moi-meme, de ridicule. Je fus profondement froisse; j'eus l'impression tres nette que ma mere se moquait de moi. Et puis, pourquoi parler du prix de la viande? Je le savais bien que la viande etait chere. Etait-ce vraiment le moment de me parler du cout de la vie, alors que je venais de perdre ma place? Je vous assure que je recus en plein visage, comme une gifle, la phrase de maman. Pourtant je ne dis rien, pour ne rien abimer de mon ressentiment, pour le laisser entier, redoutable, sans replique. Je passai rapidement en revue toutes mes reponses. Elles etaient pretes; peremptoires, cinglantes, rangees devant mes yeux comme des armes au ratelier. Je me disposai donc a passer dans ma chambre pour me dechausser avec bruit, ainsi que je l'avais decide. Au dernier moment, je n'en eus pas le courage. Je pensai: "Il vaut mieux attendre une bonne occasion, par exemple que maman me parle encore une fois de cette selle de gigot". Notre repas commenca. J'avais l'estomac serre, ratatine. Je ne mangeais pas de bon coeur. Je regardais le fond de mon assiette et j'ecartais les morceaux de viande pour apercevoir les defauts de la faience. Je connais exactement tous les defauts de nos vieilles assiettes. Je sentais le regard de ma mere qui s'attachait a moi, qui ne me lachait plus et je pensais que "ca devait se voir", que ma disgrace etait ecrite en toutes lettres sur mon visage. J'en conclus que j'etais un pauvre sire, impuissant a dissimuler ses sentiments. Cela me valut un surcroit de rancoeur. Entre les plats, j'attendais, sans mot dire. Je ne voulais pas laisser mes mains sur la table. J'eprouve une espece de pudeur pour mes mains. Si j'avais un grand secret, mes mains me trahiraient: elles sont incapables de feinte. Je laissais donc pendre mes bras, qui sont fort longs, et, du bout des doigts, je tourmentais mes chaussettes, ce qui est une manie grotesque dont je ne peux me defaire. Ma mere me dit avec une douceur particulierement offensante: --Laisse donc tes chausse
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