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voulant donner une bonne opinion de ma douceur et de ma complaisance, je
m'approchai tout doucement de la paysanne, et je m'arretai pres d'elle
pour la laisser monter sur mon dos.
--Il n'a pas l'air mechant, ce bourri! dit l'homme en aidant sa femme a
se placer sur le bat.
Je souris de pitie en entendant ce propos: Mechant! comme si un ane
doucement traite etait jamais mechant. Nous ne devenons coleres,
desobeissants et entetes que pour nous venger des coups et des injures
que nous recevons. Quand on nous traite bien, nous sommes bons, bien
meilleurs que les autres animaux.
Je ramenai a leur maison la jeune femme et son petit garcon, joli petit
enfant de deux ans, qui me caressait, qui me trouvait charmant, et qui
aurait bien voulu me garder. Mais je reflechis que ce ne serait pas
honnete. Mes maitres m'avaient achete, je leur appartenais. J'avais deja
brise le nez les dents, le poignet et l'estomac de ma maitresse, j'etais
assez venge. Voyant donc que la maman allait ceder a son petit garcon,
qu'elle gatait (je m'en etais bien apercu pendant que le portais sur mon
dos), je fis un saut de cote et, avant que la maman eut pu ressaisir ma
bride, je me sauvai en galopant, et je revins a la maison.
Mariette, la fille de mon maitre, me vit la premiere.
--Ah! voila Cadichon. Comme le voila revenu de bonne heure! Jules, viens
lui oter son bat.
--Mechant ane, dit Jules d'un ton bourru, il faut toujours s'occuper de
lui. Pourquoi donc est-il revenu seul? Je parie qu'il s'est echappe.
Vilaine bete! ajouta-t-il en me donnant un coup de pied dans les jambes,
si je savais que tu t'es sauve, je te donnerais cent coups de baton.
Mon bat et ma bride etant otes, je m'eloignai en galopant. A peine
etais-je rentre dans l'herbage, que j'entendis des cris qui venaient de
la ferme. J'approchai ma tete de la haie, et je vis qu'on avait ramene
la fermiere; c'etaient les enfants qui poussaient ces cris. J'ecoutai de
toutes mes oreilles, et j'entendis Jules dire a son pere:
--Mon pere, je vais prendre le grand fouet du charretier, j'attacherai
l'ane un arbre, et je le battrai jusqu'a ce qu'il tombe par terre.
--Va, mon garcon, va, mais ne le tue pas; nous perdrions l'argent qu'il
nous a coute. Je le vendrai a la prochaine foire.
Je restai tremblant de frayeur en les entendant et en voyant Jules
courir a l'ecurie pour chercher le fouet. Il n'y avait pas a hesiter,
et, sans me faire scrupule cette fois de faire perdre a mes
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