maitres le
prix qu'ils m'avaient paye, je courus vers la haie qui me separait des
champs: je m'elancai dessus avec une telle force que je brisai les
branches et que je pus passer au travers. Je courus dans le champ, et
je continuai a courir longtemps, bien longtemps, croyant toujours etre
poursuivi. Enfin, n'en pouvant plus, je m'arretai, j'ecoutai ... je
n'entendis rien. Je montai sur une butte, je ne vis personne. Alors, je
commencai a respirer et a me rejouir de m'etre delivre de ces mechants
fermiers. Mais je me demandais ce que j'allais devenir. Si je restais
dans le pays, on me reconnaitrait, on me rattraperait, et l'on me
ramenerait a mes maitres. Que faire? Ou aller?
Je regardai autour de moi; je me trouvai isole et malheureux, et j'allai
verser des larmes sur ma triste position, lorsque je m'apercus que
j'etais au bord d'un bois magnifique: c'etait la foret de Saint-Evroult.
"Quel bonheur! m'ecriai-je. Je trouverai dans cette foret de l'herbe
tendre, de l'eau, de la mousse fraiche: j'y demeurerai pendant quelques
jours, puis j'irai dans une autre foret, plus loin, bien plus loin de la
ferme de mes maitres."
J'entrai dans le bois; je mangeai avec bonheur de l'herbe tendre, et je
bus l'eau d'une belle fontaine. Comme il commencait a faire nuit, je
me couchai sur la mousse au pied d'un vieux sapin, et je m'endormis
paisiblement jusqu'au lendemain.
II
LA POURSUITE
Le lendemain, apres avoir mange et bu, je songeai a mon bonheur.
"Me voici sauve, pensais-je; jamais on ne me retrouvera, et dans deux
jours, quand je serai bien repose, j'irai plus loin encore."
A peine avais-je fini cette reflexion, que j'entendis l'aboiement
lointain d'un chien, puis d'un second; quelques instants apres, je
distinguai les hurlements de toute une meute.
Inquiet, un peu effraye meme, je me levai et je me dirigeai vers un
petit ruisseau que j'avais remarque le matin. A peine y etais-je entre,
que j'entendis la voix de Jules parlant aux chiens.
"Allons, allons, mes chiens, cherchez bien, trouvez-moi ce miserable
ane, mordez-le, dechirez-lui les jambes, et ramenez-le moi, que j'essaye
mon fouet sur son dos."
La frayeur manqua me faire tomber; mais je reflechis aussitot qu'en
marchant dans l'eau les chiens ne pourraient plus sentir la trace de mes
pas; je me mis donc a courir dans le ruisseau, qui etait heureusement
borde des deux cotes de buissons tres epais. Je marchai sans m'arreter
pendant fort longtemps; les a
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