un roulis
tel que je n'en avais vu depuis longtemps. C'etait un beau spectacle,
et, si tout mon monde n'eut ete malade, j'y aurais pris un grand
plaisir.
Genes n'a rien perdu a mes yeux de ce qu'elle etait dans mes souvenirs:
magnifiques peintures, nature admirable, palais et jardins echafaudes
les uns sur les autres, avec ce caractere tout particulier qui lui est
propre.
Pendant que nous essuyions cet orage, vous etiez, vous autres tous,
preoccupes d'orages bien plus serieux que nous ignorions. Nous avons
appris, en arrivant chez le docteur Cauviere (ou nous nous reposons de
nos fatigues), tout ce qui s'etait passe en France durant notre absence.
Au dela de la frontiere, il y a comme une muraille de la Chine, entre
les nouvelles de la civilisation et l'immobilite du vieux monde. Mais
ces nouvelles sont tristes. Encore des victimes genereuses et folles
inutilement sacrifiees! encore du temps perdu! encore un bon coup de
vent pour la monarchie, en, attendant le naufrage inevitable, mais trop
tardif!
Nous partons apres-demain matin pour Nohant. Adressez-moi la votre
prochaine lettre; nous y serons dans huit jours. Ma voiture est arrivee
de Chalon a Arles, par bateau et nous nous en irons en poste, tout
tranquillement, couchant dans les auberges comme de bons bourgeois.
On me cherche la brochure de l'abbe de Lamennais; mais on ne la trouve
pas encore. Marseille est tres arrieree. Le docteur Cauviere lit
l'_Encyclopedie_[1] et se passionne pour Leroux et Raynaud avec une
ardeur liberale et philosophique qui le rajeunit de quarante ans. Il va
dans toute la ville pronant cette doctrine, et il me remercie de l'avoir
initie. Il reve de venir a Paris, rien que pourvoir Leroux, qu'il se
reproche de n'avoir pas connu plus tot.
C'est un bien digne homme que ce docteur; je le quitte avec regret; mais
j'ai besoin de retrouver une vie plus assise.
Je n'aime plus les voyages ou plutot je ne suis plus dans les conditions
ou je pouvais les aimer. Je ne suis plus _garcon_; une famille est
singulierement peu conciliable avec les deplacements frequents.
Je vous ecrirai des mon arrivee a Nohant; faites, ma cherie, que j'y
trouve une lettre de vous.
[1] Cette _Encyclopedie nouvelle_ ne fut pas continuee.
CXCV
A LA MEME
Nohant, 3 juin 1839.
Oui, chere amie, je suis chez moi, bien enchantee de pouvoir enfin me
reposer, une bonne fois, de cette vie de paquets et d'auberges que j
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