oi. De temps en temps, je me leve dans un acces de colere
republicaine; mais je m'apercois que cela ne sert a rien, et je me
replonge dans mon fauteuil sans avoir rien dit.
Au fond, je ne suis pas gaie. Peut-on l'etre, tout a fait, avec sa
raison? Non. La gaiete n'est qu'un excitant, comme la pipe et le cafe.
L'etre qui en use n'en est ni plus fort ni plus brillant. Tout mon desir
est de m'abrutir, de m'appliquer aux occupations les plus simples, aux
plaisirs les plus tranquilles et les plus modestes. Je crois que j'en
viendrai aisement a bout. La vie active ne m'a jamais eblouie. Elle
m'a fait mal aux yeux; mais elle ne m'a pas obscurci la vue. J'espere
vieillir en paix avec moi-meme et avec les autres.
Bonsoir, mes enfants; soyez benis. A vous!
GEORGE.
[1] Sosthenes de la Rochefoucauld.
CLII
A MADAME D'AGOULT, A GENEVE
Nohant, 20 aout 1836.
_Quoi qu'il arrive_ desormais, et sans aucun pretexte de retard que
ma propre mort, je serai a Geneve dans les quatre premiers jours de
septembre. Je quitte Nohant le 28, je passe vingt-quatre heures a
Bourges, et je me lance par Lyon. Les diligences sont pitoyables et
ne vont pas vite. C'est pourquoi je ne puis vous fixer le jour de mon
arrivee. Repondez-moi courrier par courrier ou il faut que je descende a
Geneve. Nos lettres mettent quatre jours a parvenir. Vous avez le temps
juste de me repondre un mot.
Nous ferons ce que vous voudrez. Nous irons ou nous nous tiendrons ou
vous voudrez. Pourvu que je sois avec vous, c'est tout ce qu'il me faut.
Je vous avertis seulement que j'ai mes deux mioches avec moi. S'il m'eut
fallu attendre la fin de leurs vacances pour tous aller voir, c'eut ete
encore six semaines de retard. Je les emmene donc. Ils sont peu genants,
tres dociles, et accompagnes d'ailleurs d'une servante qui vous en
debarrassera quand ils vous ennuieront. Si j'ai une chambre, que vous
donniez un matelas par terre a Maurice, un meme lit pour ma fille et
pour moi nous suffiront. A Paris, nous n'en avons pas davantage quand
ils sortent tous deux a la fois. La servante couchera a l'auberge.
Quand je voudrai ecrire, si l'envie m'en prend (ce dont j'aime a
douter), vous me preterez un coin de votre table. Si toute cette
population que je traine a ma suite vous gene, vous nous mettrez tous a
l'auberge, que vous m'indiquerez la plus voisine de votre domicile. En
attendant, vous me direz ou est ce domicile, car je ne
|