ne faculte refoulee par la rudesse et le dedain du
maitre qui eut du la developper. Je n'en benis pas moins son souvenir.
Sans sa vanite et son ivrognerie, qui exposerent ma raison et ma vie
a la roche Sanadoire, ce qui couvait en moi n'en fut peut-etre jamais
sorti. Cette folle aventure qui m'a fait eclore, m'a pourtant laisse
une susceptibilite nerveuse qui est une souffrance. Parfois, en
improvisant, j'imagine entendre l'ecroulement du roc sur ma tete et
sentir mes mains grossir comme celles du Moise de Michel-Ange. Cela
ne dure qu'un instant, mais cela ne s'est point gueri entierement, et
vous voyez que l'age ne m'en a pas debarrasse.
* * * * *
--Mais, dit le docteur au maestro quand il eut termine son recit,
a quoi attribuez-vous cette dilatation fictive de vos mains, cette
souffrance qui vous saisit a la roche Sanadoire avant son trop reel
ecroulement?
--Je ne peux l'attribuer, repondit le maestro, qu'a des orties ou a
des ronces qui poussaient sur le pretendu clavier. Vous voyez, mes
amis, que tout est symbolique dans mon histoire. La revelation de mon
avenir fut complete: des illusions, du bruit... et des epines!
CE QUE DISENT LES FLEURS
Quand j'etais enfant, ma chere Aurore, j'etais tres-tourmentee de
ne pouvoir saisir ce que les fleurs se disaient entre elles. Mon
professeur de botanique m'assurait qu'elles ne disaient rien; soit
qu'il fut sourd, soit qu'il ne voulut pas me dire la verite, il jurait
qu'elles ne disaient rien du tout.
Je savais bien le contraire. Je les entendais babiller confusement,
surtout a la rosee du soir; mais elles parlaient trop bas pour que je
pusse distinguer leurs paroles; et puis elles etaient mefiantes, et,
quand je passais pres des plates-bandes du jardin ou sur le sentier du
pre, elles s'avertissaient par une espece de _psitt_, qui courait de
l'une a l'autre. C'etait comme si l'on eut dit sur toute la ligne:
"Attention, taisons-nous! voila l'enfant curieux qui nous ecoute."
Je m'y obstinai. Je m'exercai a marcher si doucement, sans froler le
plus petit brin d'herbe, qu'elles ne m'entendirent plus et que je pus
m'avancer tout pres, tout pres; alors, en me baissant sous l'ombre des
arbres pour qu'elles ne vissent pas la mienne, je saisis enfin des
paroles articulees.
Il fallait beaucoup d'attention; c'etait de si petites voix, si
douces, si fines, que la moindre brise les emportait et que le
bourdonnement des sphinx et des n
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