leurs de l'eglantier; nous savons comme les autres fleurs du jardin
en sont jalouses. Elles pretendent qu'elle n'est rien de plus que
nous, qu'elle est fille de l'eglantier et ne doit sa beaute qu'a la
greffe et a la culture. Nous sommes des ignorantes et ne savons pas
repondre. Dis-nous, toi qui es plus ancien que nous sur la terre, si
tu connais la veritable origine de la rose.
--Je vous la dirai, car c'est ma propre histoire; ecoutez-la, et ne
l'oubliez jamais.
Et le zephyr raconta ceci:
--Au temps ou les etres et les choses de l'univers parlaient encore la
langue des dieux, j'etais le fils aine du roi des orages. Mes ailes
noires touchaient les deux extremites des plus vastes horizons, ma
chevelure immense s'emmelait aux nuages. Mon aspect etait epouvantable
et sublime, j'avais le pouvoir de rassembler les nuees du couchant
et de les etendre comme un voile impenetrable entre la terre et le
soleil.
"Longtemps je regnai avec mon pere et mes freres sur la planete
infeconde. Notre mission etait de detruire et de bouleverser. Mes
freres et moi, dechaines sur tous les points de ce miserable petit
monde, nous semblions ne devoir jamais permettre a la vie de paraitre
sur cette scorie informe que nous appelons aujourd'hui la terre des
vivants. J'etais le plus robuste et le plus furieux de tous. Quand le
roi mon pere etait las, il s'etendait sur le sommet des nuees et
se reposait sur moi du soin de continuer l'oeuvre de l'implacable
destruction. Mais, au sein de cette terre, inerte encore, s'agitait un
esprit, une divinite puissante, l'esprit de la vie, qui voulait etre,
et qui, brisant les montagnes, comblant les mers, entassant les
poussieres, se mit un jour a surgir de toutes parts. Nos efforts
redoublerent et ne servirent qu'a hater l'eclosion d'une foule d'etres
qui nous echappaient par leur petitesse ou nous resistaient par leur
faiblesse meme; d'humbles plantes flexibles, de minces coquillages
flottants prenaient place sur la croute encore tiede de l'ecorce
terrestre, dans les limons, dans les eaux, dans les detritus de tout
genre. Nous roulions en vain les flots furieux sur ces creations
ebauchees. La vie naissait et apparaissait sans cesse sous des formes
nouvelles, comme si le genie patient et inventif de la creation eut
resolu d'adapter les organes et les besoins de tous les etres au
milieu tourmente que nous leur faisions.
"Nous commencions a nous lasser de cette resistance passive en
apparence, irredu
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