octuelles les couvrait absolument.
Je ne sais pas quelle langue elles parlaient. Ce n'etait ni le
francais, ni le latin qu'on m'apprenait alors; mais il se trouva que
je comprenais fort bien. Il me sembla meme que je comprenais mieux ce
langage que tout ce que j'avais entendu jusqu'alors.
Un soir, je reussis a me coucher sur le sable et a ne plus rien
perdre de ce qui se disait aupres de moi dans un coin bien abrite
du parterre. Comme tout le monde parlait dans tout le jardin, il ne
fallait pas s'amuser a vouloir surprendre plus d'un secret en une
fois. Je me tins donc la bien tranquille, et voici ce que j'entendis
dans les coquelicots:
--Mesdames et messieurs, il est temps d'en finir avec cette platitude.
Toutes les plantes sont egalement nobles; notre famille ne le cede a
aucune autre, et, accepte qui voudra la royaute de la rose, je declare
que j'en ai assez et que je ne reconnais a personne le droit de se
dire mieux ne et plus titre que moi.
A quoi les marguerites repondirent toutes ensemble que l'orateur
coquelicot avait raison. Une d'elles, qui etait plus grande que les
autres et fort belle, demanda la parole et dit:
--Je n'ai jamais compris les grands airs que prend la famille des
roses. En quoi, je vous le demande, une rose est-elle plus jolie
et mieux faite que moi? La nature et l'art se sont entendus pour
multiplier le nombre de nos petales et l'eclat de nos couleurs. Nous
sommes meme beaucoup plus riches, car la plus belle rose n'a guere
plus de deux cents petales et nous en avons jusqu'a cinq cents. Quant
aux couleurs, nous avons le violet et presque le bleu pur que la rose
ne trouvera jamais.
--Moi, dit un grand pied d'alouette vivace, moi le prince Delphinium,
j'ai l'azur des cieux dans ma corolle, et mes nombreux parents ont
toutes les nuances du rose. La pretendue reine des fleurs a donc
beaucoup a nous envier, et, quant a son parfum si vante...
--Ne parlez pas de cela, reprit vivement le coquelicot. Les hableries
du parfum me portent sur les nerfs. Qu'est-ce, je vous prie, que le
parfum? Une convention etablie par les jardiniers et les papillons.
Moi, je trouve que la rose sent mauvais et que c'est moi qui embaume.
--Nous ne sentons rien, dit la marguerite, et je crois que par la
nous faisons preuve de tenue et de bon gout. Les odeurs sont des
indiscretions ou des vanteries. Une plante qui se respecte ne
s'annonce point par des emanations. Sa beaute doit lui suffire.
--Je ne suis pas
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