ctible en realite. Nous detruisions des races
entieres d'etres vivants, d'autres apparaissaient organises pour nous
subir sans mourir. Nous etions epuises de rage. Nous nous retirames
sur le sommet des nuees pour deliberer et demander a notre pere des
forces nouvelles.
"Pendant qu'il nous donnait de nouveaux ordres, la terre un instant
delivree de nos fureurs se couvrit de plantes innombrables ou des
myriades d'animaux ingenieusement conformes dans leurs differents
types, chercherent leur abri et leur nourriture dans d'immenses forets
ou sur les flancs de puissantes montagnes, ainsi que dans les eaux
epurees de lacs immenses.
"--Allez, nous dit mon pere, le roi des orages, voici la terre qui
s'est paree comme une fiancee pour epouser le soleil. Mettez-vous
entre eux. Entassez les nuees enormes, mugissez, et que votre souffle
renverse les forets, aplanisse les monts et dechaine les mers. Allez,
et ne revenez pas, tant qu'il y aura encore un etre vivant, une plante
debout sur cette arene maudite ou la vie pretend s'etablir en depit de
nous.
"Nous nous dispersames comme une semence de mort sur les deux
hemispheres, et moi, fendant comme un aigle le rideau des nuages, je
m'abattis sur les antiques contrees de l'extreme Orient, la ou de
profondes depressions du haut plateau asiatique s'abaissant vers
la mer sous un ciel de feu, font eclore, au sein d'une humidite
energique, les plantes gigantesques et les animaux redoutables.
J'etais repose des fatigues subies, je me sentais doue d'une force
incommensurable, j'etais fier d'apporter le desordre et la mort a tous
ces faibles qui semblaient me braver. D'un coup d'aile, je rasais
toute une contree; d'un souffle, j'abattais toute une foret, et je
sentais en moi une joie aveugle, enivree, la joie d'etre plus fort que
toutes les forces de la nature.
"Tout a coup un parfum passa en moi comme par une aspiration inconnue
a mes organes, et, surpris d'une sensation si nouvelle, je m'arretai
pour m'en rendre compte. Je vis alors pour la premiere fois un etre
qui etait apparu sur la terre en mon absence, un etre frais, delicat,
imperceptible, la rose!
"Je fondis sur elle pour l'ecraser. Elle plia, se coucha sur l'herbe
et me dit:
"--Prends pitie! je suis si belle et si douce! respire-moi, tu
m'epargneras.
"Je la respirai et une ivresse soudaine abattit ma fureur. Je me
couchai sur l'herbe et je m'endormis aupres d'elle.
"Quand je m'eveillai, la rose s'etait relevee et
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