dre un veritable
chant de guerre. C'etait fort beau, je dois l'avouer, mais c'etait un
sabbat et non un _Adoremus_.
J'etais derriere maitre Jean pendant que le grand vicaire lui parlait,
et le coeur me battait bien fort. L'organiste s'excusa naturellement
en disant qu'il s'etait trouve indispose, et qu'un enfant de choeur,
son eleve, avait tenu l'orgue a l'elevation.
--Est-ce vous, mon petit ami? dit le vicaire en voyant ma figure emue.
--C'est lui, repondit maitre Jean, c'est ce petit ane!
--Ce petit ane a fort bien joue, reprit le grand vicaire en riant.
Mais pourriez-vous me dire, mon enfant, quel est ce motif qui m'a
frappe? J'ai bien vu que c'etait quelque chose de remarquable, mais je
ne saurais dire ou cela existe.
--Cela n'existe que dans ma tete, repondis-je avec assurance. Cela
m'est venu... dans la montagne.
--T'en est-il venu d'autres?
--Non, c'est la premiere fois que quelque chose m'est venu.
--Pourtant...
--Ne faites pas attention, reprit l'organiste, il ne sait ce qu'il
dit, c'est une reminiscence!
--C'est possible, mais de qui?
--De moi probablement; on jette tant d'idees au hasard quand on
compose! le premier venu ramasse les bribes!
--Vous auriez du ne pas laisser perdre cette bribe-la, reprit le grand
vicaire avec malice; elle vaut une grosse piece.
Il se retourna vers moi en ajoutant:
--Viens chez moi demain apres ma messe basse, je veux t'examiner.
Je fus exact. Il avait eu le temps de faire ses recherches. Nulle part
il n'avait trouve mon motif. Il avait chez lui un beau piano et me fit
improviser. D'abord je fus trouble et il ne me vint que du gachis;
puis, peu a peu, mes idees s'eclaircirent et le prelat fut si content
de moi, qu'il manda maitre Jean et me recommanda a lui comme son
protege tout special. C'etait lui dire que mes lecons lui seraient
bien payees. Le professeur me retira donc de la cuisine et de
l'ecurie, me traita avec plus de douceur et, en peu d'annees,
m'enseigna tout ce qu'il savait. Mon protecteur vit bien alors que je
pouvais aller plus loin et que le petit ane etait plus laborieux et
mieux doue que son maitre. Il m'envoya a Paris, ou je fus, tres-jeune
encore, en etat de donner des lecons et de jouer dans les concerts.
Mais ce n'est pas l'histoire de ma vie entiere que je vous ai promise;
ce serait trop long, et vous savez maintenant ce que vous vouliez
savoir: comment une grande frayeur, a la suite d'un acces d'ivresse,
developpa en moi u
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