livres, son tapis, les grands stores
blancs de ses fenetres, derriere lesquels tremblaient les branches
greles du petit jardin, puis, s'avancant vers le brave commandant,
il lui prit la main, la serra avec energie, et d'une voix ou roulaient
des larmes, stoique cependant, il lui dit "Je partirai, Bravida!"
[10]Et il partit comme il l'avait dit. Seulement pas encore tout
de suite ... il lui fallut le temps de s'outiller.
D'abord il commanda chez Bompard deux grandes malles doublees
de cuivre, avec une longue plaque portant cette inscription:
TARTARIN DE TARASCON
CAISSE D'ARMES.
Le doublage et la gravure prirent beaucoup de temps. Il
[15]commanda aussi chez Tastavin un magnifique album de voyage
pour ecrire son journal, ses impressions, car enfin on a beau
chasser le lion, on pense tout de meme en route.
Puis il fit venir de Marseille toute une cargaison de conserves
alimentaires, du pemmican en tablettes pour faire du bouillon,
[20]une tente-abri d'un nouveau modele, se montant et se demontant
a la minute, des bottes de marin, deux parapluies, un waterproof,
des lunettes bleues pour prevenir les ophtalmies. Enfin
le pharmacien Bezuquet lui confectionna une petite pharmacie
portative bourree de sparadrap, d'arnica, de camphre, de vinaigre
[25]des quatre-voleurs.
Pauvre Tartarin! ce qu'il en faisait, ce n'etait pas pour lui;
mais il esperait, a force de precautions et d'attentions delicates,
apaiser la fureur de Tartarin-Sancho, qui, depuis que le depart
etait decide, ne decolerait ni de jour ni de nuit.
XIII
_Le depart_.
Page 30
Enfin il arriva, le jour solennel, le grand jour.
Des l'aube, tout Tarascon etait sur pied, encombrant le chemin
d'Avignon et les abords de la petite maison du baobab.
Du monde aux fenetres, sur les toits, sur les arbres; des
[5]mariniers du Rhone, des portefaix, des decrotteurs, des bourgeois,
des ourdisseuses, des taffetassieres, le cercle, enfin toute
la ville; puis aussi des gens de Beaucaire qui avaient passe le
pont, des maraichers de la banlieue, des charrettes a grandes
baches, des vignerons hisses sur de belles mules attifees de
[10]rubans, de flots, de grelots, de noeuds, de sonnettes, et meme,
de loin en loin, quelques jolies filles d'Arles venues en croupe
de leur galant, le ruban d'azur autour de la tete, sur de petits
chevaux de Camargue gris de fer.
Toute cette foule se pressait, se bousculait devant la porte
[15]de Tartarin, ce bon M. Tartarin
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