la ville il n'y avait pas de meilleur endroit pour les lapins.
"Et les lions?" demanda Tartarin.
L'Alsacien le regarda, tres etonne: "Les lions?
[30]--Oui ... les lions ... en voyez-vous quelquefois?" reprit
le pauvre homme avec un peu moins d'assurance.
Le cabaretier eclata de rire:
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"Ah! ben! merci.... Des lions ... pourquoi faire?...
--Il n'y en a donc pas en Algerie?...
--Ma foi! je n'en ai jamais vu.... Et pourtant voila vingt
ans que j'habite la province. Cependant je crois bien avoir
[5]entendu dire.... Il me semble que les journaux.... Mais
c'est beaucoup plus loin, la-bas, dans le Sud...."
A ce moment, ils arrivaient au cabaret. Un cabaret de banlieue,
comme on en voit a Vanves ou a Pantin, avec un rameau
tout fane au-dessus de la porte, des queues de billard peintes
[10]sur les murs et cette enseigne inoffensive:
AU RENDEZ-VOUS DES LAPINS
Le Rendez-vous des Lapins!... O Bravida, quel souvenir!
VII
_Histoire d'un omnibus, d'une Mauresque
et d'un chapelet de fleurs de jasmin._
Cette premiere aventure aurait eu de quoi decourager bien
des gens; mais les hommes trempes comme Tartarin ne se
[15]laissent pas facilement abattre.
"Les lions sont dans le Sud," pensa le heros; "eh bien!
j'irai dans le Sud."
Et des qu'il eut avale son dernier morceau, il se leva, remercia
son hote, embrassa la vieille sans rancune, versa une derniere
[20]larme sur l'infortune Noiraud, et retourna bien vite a Alger avec
la ferme intention de boucler ses malles et de partir le jour
meme pour le Sud.
Malheureusement la grande route de Mustapha semblait s'etre
allongee depuis la veille: il faisait un soleil, une poussiere! La
[25]tente-abri etait d'un lourd!... Tartarin ne se sentit pas le
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courage d'aller a pied jusqu'a la ville, et le premier omnibus qui
passa, il fit signe et monta dedans....
Ah! pauvre Tartarin de Tarascon! Combien il aurait mieux
fait pour son nom, pour sa gloire, de ne pas entrer dans cette
[5]fatale guimbarde et de continuer pedestrement sa route, au risque
de tomber asphyxie sous le poids de l'atmosphere, de la tente-abri
et de ses lourds fusils rayes a doubles canons....
Tartarin etant monte, L'omnibus fut complet. Il y avait au
fond, le nez dans son breviaire, un vicaire d'Alger a grande
[10]barbe noire. En face, un jeune marchand maure, qui fumait de
grosses cigarettes. Puis, un matelot maltais, et quatre ou cinq
Mauresques masquees de linges blanc
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