arut qui, sans dire un seul
[5]mot, conduisit ces messieurs a travers l'etroite cour interieure
dans une petite chambre fraiche ou la dame attendait, accoudee
sur un lit bas.... Au premier abord, elle parut au Tarasconnais
plus petite et plus forte que la Mauresque de l'omnibus.
Au fait, etait-ce bien la meme? Mais ce soupcon ne fit
[10]que traverser le cerveau de Tartarin comme un eclair.
La dame etait si jolie ainsi avec ses pieds nus, ses doigts
grassouillets charges de bagues, rose, fine, et sous son corselet
de drap dore, sous les ramages de sa robe a fleurs laissant deviner
une aimable personne un peu boulotte, friande a point, et
[15]ronde de partout....Le tuyau d'ambre d'un narghile fumait
a ses levres et l'enveloppait toute d'une gloire de fumee blonde.
En entrant, le Tarasconnais posa une main sur son coeur, et
s'inclina le plus mauresquement possible, en roulant de gros
yeux passionnes.... Baia le regarda un moment sans
[20]dire; puis, lachant son tuyau d'ambre, se renversa en arriere,
cacha sa tete dans ses mains, et I'on ne vit plus que son cou
blanc qu'un fou rire faisait danser comme un sac rempli de
perles.
XI
_Sidi Tart'ri ben Tart'ri._
Si vous entriez, un soir, a la veillee, chez les cafetiers algeriens
[25]de la ville haute, vous entendriez encore aujourd'hui les Maures
causer entre eux, avec des clignements d'yeux et de petits rires,
d'un certain Sidi Tart'ri ben Tart'ri, Europeen aimable et riche
qui--voici quelques annees deja--vivait dans les hauts quartiers
avec une petite dame du cru appelee Baia.
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Le Sidi Tart'ri en question qui a laisse de si gais souvenirs
autour de la Casbah n'est autre, on le devine, que notre Tartarin....
Qu'est-ce que vous voulez? Il y a comme cela, dans la vie
[5]des saints et des heros, des heures d'aveuglement, de trouble,
de defaillance. L'illustre Tarasconnais n'en fut pas plus exempt
qu'un autre, et c'est pourquoi--deux mois durant--oublieux
des lions et de la gloire, il se grisa d'amour oriental et s'endormit,
comme Annibal a Capoue, dans les delices d'Alger la Blanche.
[10]Le brave homme avait loue au coeur de la ville arabe une
jolie maisonnette indigene avec cour interieure, bananiers, galeries
fraiches et fontaines. Il vivait la loin de tout bruit en compagnie
de sa Mauresque, Maure lui-meme de la tete aux pieds,
soufflant tout le jour dans son narghile, et mangeant des confitures
[15]au musc.
Etendue sur un divan en fac
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