mechante
affaire?
--Que voulez vous, _preince_?... De voir ce malheureux
lion avec sa sebile aux dents, humilie, vaincu, bafoue, servant de
[20]risee a toute cette pouillerie musulmane....
--Mais vous vous trompez, mon noble ami. Ce lion est, au
contraire, pour eux un objet de respect et d'adoration. C'est
une bete sacree, qui fait partie d'un grand couvent de lions,
fonde, il y a trois cents ans, par Mahommed-ben-Aouda, une
[25]espece de Trappe formidable et farouche, pleine de rugissements
et d'odeurs de fauve, ou des moines singuliers elevent et apprivoisent
des lions par centaines, et les envoient de la dans toute
l'Afrique septentrionale, accompagnes de freres queteurs....
Les dons que recoivent les freres servent a l'entretien du couvent
[30]et de sa mosquee, et si les deux negres ont montre tant d'humeur
tout a l'heure, c'est qu'ils out la conviction que pour un
sou, un seul sou de la quete, vole ou perdu par leur faute, le lion
qu'ils conduisent les devorerait immediatement."
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En ecoutant ce recit invraisemblable et pourtant veridique,
Tartarin de Tarascon se delectait et reniflait l'air bruyamment.
"Ce qui me va dans tout ceci," fit-il en matiere de conclusion,
"c'est que, n'en deplaise a mons Bombonnel, il y a encore des
[5]lions en Algerie!...
--S'il y en a!" dit le prince avec enthousiasme.... "Des
demain, nous allons battre la plaine du Cheliff, et vous verrez!....
--Eh quoi! Prince.... Auriez-vous l'intention de chasser,
vous aussi?
[10]--Parbleu! pensez-vous donc que je vous laisserais vous en
aller seul en pleine Afrique, au milieu de ces tribus feroces dont
vous ignorez la langue et les usages.... Non! non! illustre
Tartarin, je ne vous quitte plus.... Partout ou vous serez, je
veux etre.
[15]--Oh! _preince, preince_...."
Et Tartarin, radieux, pressa sur son coeur le vaillant Gregory,
en songeant avec fierte qu'a l'exemple de Jules Gerard, de
Bombonnel et tous les autres fameux tueurs de lions, il allait
avoir un prince etranger pour l'accompagner dans ses chasses.
IV
_La caravane en marche._
[20]Le lendemain, des la premiere heure, l'intrepide Tartarin
et le non moins intrepide prince Gregory, suivis d'une demi-douzaine
de portefaix negres, sortaient de Milianah et descendaient
vers la plaine du Cheliff par un raidillon delicieux tout
ombrage de jasmins, de tuyas, de caroubiers, d'oliviers sauvages,
[25]entre deux haies de petits jardins indigenes et des m
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