n comme celui-la; et
[5]pourtant, Dieu sait s'il en manque a Marseille, des _Teurs!_
Le _Teur_ en question,--ai-je besoin de vous le dire?--c'etait
Tartarin, le grand Tartarin de Tarascon, qui s'en allait le long
des quais, suivi de ses caisses d'armes, de sa pharmacie, de ses
conserves, rejoindre l'embarcadere de la compagnie Touache, et
[10]le paquebot le _Zouave_, qui devait l'emporter la-bas.
L'oreille encore pleine des applaudissements tarasconnais,
grise par la lumiere du ciel, l'odeur de la mer, Tartarin rayonnant
marchait, ses fusils sur l'epaule, la tete haute, regardant de
tous ses yeux ce merveilleux port de Marseille qu'il voyait pour
[15]la premiere fois, et qui l'eblouissait.... Le pauvre homme
croyait rever. Il lui semblait qu'il s'appelait Sinbad le Marin, et
qu'il errait dans une de ces villes fantastiques comme il y en a
dans les _Mille et une nuits._
C'etait a perte de vue un fouillis de mats, de vergues, se
[20]croisant dans tous les sens. Pavillons de tous les pays, russes,
grecs, suedois, tunisiens, americains.... Les navires au ras du
quai, les beaupres arrivant sur la berge comme des rangees de
baionnettes. Au-dessous les naiades, les deesses, les saintes
vierges et autres sculptures de bois peint qui donnent le nom au
[25]vaisseau; tout cela mange par l'eau de mer, devore, ruisselant,
moisi.... De temps en temps, entre les navires, un morceau
de mer, comme une grande moire tachee d'huile.... Dans
l'enchevetrement des vergues, des nuees de mouettes faisant de
jolies taches sur le ciel bleu, des mousses qui s'appelaient dans
[30]toutes les langues.
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Sur le quai, au milieu des ruisseaux qui venaient des savonneries,
verts, epais, noiratres, charges d'huile et de soude, tout
un peuple de douaniers, de commissionnaires, de portefaix avec
leurs _bogheys_ atteles de petits chevaux corses.
[5]Des magasins de confections bizarres, des baraques enfumees
ou les matelots faisaient leur cuisine, des marchands de pipes,
des marchands de singes, de perroquets, de cordes, de toiles a
voiles, des bric-a-brac fantastiques ou s'etalaient pele-mele de
vieilles coulevrines, de grosses lanternes dorees, de vieux palans,
[10]de vieilles ancres edentees, vieux cordages, vieilles poulies, vieux
portevoix, lunettes marines du temps de Jean Bart et de Duguay-Trouin. Des
vendeuses de moules et de clovisses accroupies et
piaillant a cote de leurs coquillages. Des matelots passant avec
des pots de goud
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