affronter le lion seul a seul.
Toutefois il recommanda a Son Altesse de ne pas s'eloigner, et,
par mesure de precaution, il lui confia son portefeuille, un gros
[15]portefeuille plein de papiers precieux et de billets de banque,
qu'il craignait de faire ecornifler par la griffe du lion. Ceci fait,
le heros chercha son poste.
Cent pas en avant du marabout, un petit bois de lauriers-roses
tremblait dans la gaze du crepuscule, au bord d'une riviere
[20]presque a sec. C'est la que Tartarin vint s'embusquer, le genou
en terre, selon la formule, la carabine au poing et son grand
couteau de chasse plante fierement devant lui dans le sable de
la berge.
La nuit arriva. Le rose de la nature passa au violet, puis
[25]au bleu sombre.... En bas, dans les cailloux de la riviere,
luisait comme un miroir a main une petite flaque d'eau claire.
C'etait l'abreuvoir des fauves. Sur la pente de l'autre berge,
on voyait vaguement le sentier blanc que leurs grosses pattes
avaient trace dans les lentisques. Cette pente mysterieuse
[30]donnait le frisson. Joignez a cela le fourmillement vague des
nuits africaines, branches frolees, pas de velours d'animaux
rodeurs, aboiements greles des chacals, et la-haut, dans le ciel,
a cent, deux cents metres, de grands troupeaux de grues qui
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passent avec des cris d'enfants qu'on egorge; vous avouerez
qu'il y avait de quoi etre emu.
Tartarin l'etait. Il l'etait meme beaucoup. Les dents lui claquaient,
le pauvre homme! Et sur la garde de son couteau de
[5]chasse plante en terre le canon de son fusil raye sonnait comme
une paire de castagnettes.... Qu'est-ce que vous voulez! Il
y a des soirs ou l'on n'est pas en train, et puis ou serait le
merite, si les heros n'avaient jamais peur....
Eh bien! oui, Tartarin eut peur, et tout le temps encore.
[10]Neanmoins, il tint bon une heure, deux heures, mais l'heroisme
a ses limites.... Pres de lui, dans le lit desseche de la
riviere, le Tarasconnais entend tout a coup un bruit de pas, des
cailloux qui roulent. Cette fois la terreur l'enleve de terre. Il
tire ses deux coups au hasard dans la nuit, et se replie a toutes
[15]jambes sur le marabout, laissant son coutelas debout dans le
sable comme une croix commemorative de la plus formidable
panique qui ait jamais assailli l'ame d'un dompteur d'hydres.
"A moi, preince ... le lion! ..."
Un silence.
[20]"Preince, preince, etes-vous la?"
Le prince n'etait pas la. Sur le mur blanc du marabout
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