le connaissez?" demanda le petit monsieur.
"Te! pardi.... Si je le connais.... Nous avons chasse
plus de vingt fois ensemble."
Le petit monsieur sourit: "Vous chassez donc la panthere
[30]aussi, monsieur Tartarin?
--Quelquefois, par passe-temps, ..." fit l'enrage Tarasconnais.
Il ajouta, en relevant la tete d'un geste heroique qui enflamma
le coeur des deux cocottes:
"Ca ne vaut pas le lion!
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--En somme," hasarda le photographe d'Orleansville, "une
panthere, ce n'est qu'un gros chat....
--Tout juste!" fit Tartarin qui n'etait pas fache de rabaisser
un peu la gloire de Bombonnel, surtout devant des dames.
[5]Ici la diligence s'arreta, le conducteur vint ouvrir la portiere
et s'adressant au petit vieux:
"Vous voila arrive, monsieur," lui dit-il d'un air tres respectueux.
Le petit monsieur se leva, descendit, puis avant de refermer
[10]la portiere:
"Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil, monsieur
Tartarin?
--Lequel, monsieur?
--Ma foi! ecoutez, vous avez I'air d'un brave homme, j'aime
[15]mieux vous dire ce qu'il en est.... Retournez vite a Tarascon,
monsieur Tartarin.... Vous perdez votre temps ici.... Il
reste bien encore quelques pantheres dans la province; mais,
fi donc! c'est un trop petit gibier pour vous.... Quant aux
lions, c'est fini. Il n'en reste plus en Algerie ... mon ami
[20]Chassaing vient de tuer le dernier."
Sur quoi le petit monsieur salua, ferma la portiere, et s'en
alla en riant avec sa serviette et son parapluie.
"Conducteur," demanda Tartarin en faisant sa moue,
"qu'est-ce que c'est donc que ce bonhomme-la?
--Comment! vous ne le connaissez pas? mais c'est monsieur
[25]Bombonnel."
III
_Un couvent de lions._
A Milianah, Tartarin de Tarascon descendit, laissant la
diligence continuer sa route vers le Sud.
Deux jours de durs cahots, deux nuits passees les yeux ouverts
[30]a regarder par la portiere s'il n'apercevrait pas dans les
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champs, au bord de la route, l'ombre formidable du lion, tant
d'insomnies meritaient bien quelques heures de repos. Et puis,
s'il faut tout dire, depuis sa mesaventure avec Bombonnel, le
loyal Tarasconnais se sentait mal a l'aise, malgre ses armes,
[5]sa moue terrible, son bonnet rouge, devant le photographe
d'Orleansville et les deux demoiselles du 3eme hussards.
Il se dirigea donc a travers les larges rues de Milianah, pleines
de beaux arbres et de fontaines, mais, tout en cherchant un
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