Azoun. Tres bien eleve, ce
prince montenegrin, de plus connaissant a fond l'Algerie et
parlant l'arabe couramment. Aussi Tartarin se proposait-il de
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cultiver sa connaissance.... Tout a coup, le long du bastingage
contre lequel ils etaient appuyes, le Tarasconnais apercoit
une rangee de grosses mains noires qui se cramponnaient par
dehors. Presque aussitot une tete de negre toute crepue apparait
[5]devant lui, et, avant qu'il ait eu le temps d'ouvrir la bouche,
le pont se trouve envahi de tous cotes par une centaine de forbans,
noirs, jaunes, a moitie nus, hideux, terribles.
Ces forbans-la, Tartarin les connaissait.... C'etaient eux,
c'est-a-dire ILS, ces fameux ILS qu'il avait si souvent cherches la
[10]nuit dans les rues de Tarascon. Enfin ILS se decidaient donc
a venir!
... D'abord la surprise le cloua sur place. Mais quand il
vit les forbans se precipiter sur les bagages, arracher la bache
qui les recouvrait, commencer enfin le pillage du navire, alors
[15]le heros se reveilla, et degainant son couteau de chasse: "Aux
armes! aux armes!" cria-t-il aux voyageurs, et le premier de
tous, il fondit sur les pirates.
"_Ques aco?_ qu'est-ce qu'il y a? qu'est-ce que vous avez?"
fit le capitaine Barbassou, qui sortait de l'entrepont.
[20]"Ah! vous voila, capitaine!... vite, vite, armez vos hommes.
--He! pourquoi faire, _boun Diou?_
--Mais vous ne voyez donc pas...?
--Quoi donc?...
--La ... devant vous ... les pirates...."
[25]Le capitaine Barbassou le regardait tout ahuri. A ce moment,
un grand diable de negre passait devant eux, en courant, avec
la pharmacie du heros sur son dos:
"Miserable!... attends-moi!..." hurla le Tarasconnais;
et il s'elanca, la dague en avant.
[30]Barbassou le rattrapa au vol, et, le retenant par sa ceinture:
"Mais restez donc tranquille, tron de ler!... Ce ne sont
pas des pirates.... Il y a longtemps qu'il n'y en a plus de
Pirates.... Ce sont des portefaix.
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--Des portefaix!...
--He! oui, des portefaix, qui viennent chercher les bagages
pour les porter a terre.... Rengainez donc votre coutelas,
donnez-moi votre billet, et marchez derriere ce negre, un brave
[5]garcon, qui va vous conduire a terre, et meme jusqu'a l'hotel si
vous le desirez!..."
Un peu confus, Tartarin donna son billet, et, se mettant a
la suite du negre, descendit par le tire-vieille dans une grosse
barque qui dansait le long du navire. Tous ses bagages y
[10]etaient deja, ses
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