vivement, de l'autre main, elle lui jeta un petit
chapelet parfume, fait avec des fleurs de jasmin. Tartarin de
Tarascon se baissa pour le ramasser; mais, comme notre heros
etait un peu lourd et tres charge d'armures, I'operation fut assez
longue....
[25]Quand il se releva, le chapelet de jasmin sur son coeur,--la
Mauresque avait disparu.
VIII
_Lions de l'Atlas, dormez!_
Lions de I'Atlas, dormez! Dormez tranquilles au fond de
vos retraites, dans les aloes et les cactus sauvages.... De
quelques jours encore, Tartarin de Tarascon ne vous massacrera
[30]point. Pour le moment, tout son attirail de guerre,
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--caisses d'armes, pharmacie, tente-abri, conserves alimentaires,
--repose paisiblement emballe, a l'hotel d'Europe, dans un coin
de la chambre 36.
Dormez sans peur, grands lions roux! Le Tarasconnais
[5]cherche sa Mauresque. Depuis l'histoire de l'omnibus, le
malheureux croit sentir perpetuellement sur son pied, sur son vaste
pied de trappeur, les fretillements de la petite souris rouge; et
la brise de mer, en effleurant ses levres, se parfume toujours
--quoi qu'il fasse--d'une amoureuse odeur de patisserie et d'anis.
[10]Il lui faut sa Maugrabine!
Mais ce n'est pas une mince affaire! Retrouver dans une
ville de cent mille ames une personne dont on ne connait que
l'haleine, les pantoufles et la couleur des yeux; il n'y a qu'un
Tarasconnais, feru d'amour, capable de tenter une pareille
[15]aventure.
Le terrible c'est que, sous leurs grands masques blancs, toutes
les Mauresques se ressemblent; puis ces dames ne sortent guere,
et, quand on veut en voir, il faut monter dans la ville haute, la
ville arabe, la ville des _Teurs_.
[20]Un vrai coupe-gorge, cette ville haute. De petites ruelles
noires tres etroites, grimpant a pic entre deux rangees de maisons
mysterieuses dont les toitures se rejoignent et font tunnel.
Des portes basses, des fenetres toutes petites, muettes, tristes,
grillagees. Et puis, de droite et de gauche, un tas d'echoppes
[25]tres sombres ou les _Teurs_ farouches a tetes de forbans
--yeux blancs et dents brillantes--fument de longues pipes,
et se parlent a voix basse comme pour concerter de mauvais
coups....
Dire que notre Tartarin traversait sans emotion cette cite
[30]formidable, ce serait mentir. Il etait au contraire tres emu,
et dans ces ruelles obscures dont son gros ventre tenait toute la
largeur, le brave homme n'avancait qu'avec la plus grande precauti
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