bouffee d'air
frais entra, apportant sur ses ailes, dans le parfum des orangers
fleuris, un tout petit monsieur en redingote noisette, vieux, sec,
ride, compasse, une figure grosse comme le poing, une cravate
en soie noire haute de cinq doigts, une serviette en cuir, un
[15]parapluie: le parfait notaire de village.
En apercevant le materiel de guerre du Tarasconnais, le petit
monsieur, qui s'etait assis en face, parut excessivement surpris
et se mit a regarder Tartarin avec une insistance genante.
On detela, on attela, la diligence partit.... Le petit monsieur
[20]regardait toujours Tartarin.... A la fin le Tarasconnais
prit la mouche.
"Ca vous etonne?" fit-il en regardant a son tour le petit
monsieur bien en face.
"Non! Ca me gene," repondit l'autre fort tranquillement; et
[25]le fait est qu'avec sa tente-abri, son revolver, ses deux fusils dans
dans leur gaine, son couteau de chasse,--sans parler de sa corpulence
naturelle, Tartarin de Tarascon tenait beaucoup de place....
La reponse du petit monsieur le facha:
"Vous imaginez-vous par hasard que je vais aller au lion avec
[30]votre parapluie?" dit le grand homme fierement.
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Le petit monsieur regarda son parapluie, sourit doucement;
puis, toujours avec son meme flegme:
"Alors, monsieur, vous etes...?
--Tartarin de Tarascon, tueur de lions!"
[5]En prononcant ces mots, l'intrepide Tarasconnais secoua
comme une criniere le gland de sa _chechia_.
Il y eut dans la diligence un mouvement de stupeur.
Le trappiste se signa, les cocottes pousserent de petits cris
d'effroi, et le photographe d'Orleansville se rapprocha du tueur
[10]de lions, revant deja l'insigne honneur de faire sa photographie.
Le petit monsieur, lui, ne se deconcerta pas.
"Est-ce que vous avez deja tue beaucoup de lions, monsieur
Tartarin?" demanda-t-il tres tranquillement.
Le Tarasconnais le recut de la belle maniere:
[15]"Si j'en ai beaucoup tue, monsieur!... Je vous souhaiterais
d'avoir seulement autant de cheveux sur la tete."
Et toute la diligence de rire en regardant les trois cheveux
jaunes de Cadet-Roussel qui se herissaient sur le crane du petit
monsieur.
[20]A son tour le photographe d'Orleansville prit la parole:
"Terrible profession que la votre, monsieur Tartarin!...
On passe quelquefois de mauvais moments.... Ainsi ce pauvre
M. Bombonnel....
--Ah! oui, le tueur de pantheres ..." fit Tartarin assez
[25]dedaigneusement.
"Est-ce que vous
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