urs de
chevelures, il faisait, en avancant sa levre inferieure, une moue
terrible, qui donnait a sa brave figure de petit rentier tarasconnais
ce meme caractere de ferocite bonasse qui regnait dans
toute la maison.
[15]Cet homme, c'etait Tartarin, Tartarin de Tarascon, l'intrepide,
le grand, l'incomparable Tartarin de Tarascon.
II
_Coup d'oeil general
jete sur la bonne ville de Tarascon;
les chasseurs de casquettes._
Au temps dont je vous parle, Tartarin de Tarascon n'etait
pas encore le Tartarin qu'il est aujourd'hui, le grand Tartarin
de Tarascon, si populaire dans tout le midi de la France. Pourtant
[20]--meme a cette epoque--c'etait deja le roi de Tarascon.
Disons d'ou lui venait cette royaute.
Vous saurez d'abord que la-bas tout le monde est chasseur,
depuis le plus grand jusqu'au plus petit. La chasse est la passion des
Tarasconnais, et cela depuis les temps mythologiques
[25]ou la Tarasque faisait les cent coups dans les marais de la ville
et ou les Tarasconnais d'alors organisaient des battues contre
elle. Il y a beau jour, comme vous voyez.
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Donc, tous les dimanches matin, Tarascon prend les armes et
sort de ses murs, le sac au dos, le fusil sur l'epaule, avec un
tremblement de chiens, de furets, de trompes, de cors de chasse.
C'est superbe a voir.... Par malheur, le gibier manque, il
[5]manque absolument.
Si betes que soient les betes, vous pensez bien qu'a la longue
elles ont fini par se mefier.
A cinq lieues autour de Tarascon, les terriers sont vides, les
nids abandonnes. Pas un merle, pas une caille, pas le moindre
[10]lapereau, pas le plus petit cul-blanc.
Elles sont cependant bien tentantes, ces jolies collinettes
tarasconnaises, toutes parfumees de myrte, de lavande, de romarin;
et ces beaux raisins muscats gonfles de sucre, qui s'echelonnent
an bord du Rhone, sont diablement appetissants aussi....
[15]Oui, mais il y a Tarascon derriere, et dans le petit monde du
poil et de la plume, Tarascon est tres mal note. Les oiseaux
de passage eux-memes l'ont marque d'une grande croix sur leurs
feuilles de route, et quand les canards sauvages, descendant vers
la Camargue en longs triangles, apercoivent de loin les clochers
[20]de la ville, celui qui est en tete se met a crier bien fort: "Voila
Tarascon!... voila Tarascon!" et toute la bande fait un
crochet.
Bref, en fait de gibier, il ne reste plus dans le pays qu'un
vieux coquin de lievre, echappe comme par miracle au
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