llait voir le succes du Tarasconnais dans les salons. On
se l'arrachait, on se le disputait, on se l'empruntait, on se le
[5]volait. Il n'y avait pas de plus grand honneur pour les dames
que d'aller a la menagerie Mitaine au bras de Tartarin, et de se
faire expliquer devant la cage du lion comment on s'y prenait
pour chasser ces grandes betes, ou il fallait viser, a combien de
pas, si les accidents etaient nombreux, etc., etc.
[10]Tartarin donnait toutes les explications qu'on voulait. Il avait
lu Jules Gerard et connaissait la chasse au lion sur le bout du
doigt, comme s'il l'avait faite. Aussi parlait-il de ces choses avec
une grande eloquence.
Mais ou il etait le plus beau, c'etait le soir a diner chez le
[15]president Ladeveze ou le brave commandant Bravida, ancien
capitaine d'habillement, quand on apportait le cafe et que, toutes
les chaises se rapprochant, on le faisait parler de ses chasses
futures....
Alors, le coude sur la nappe, le nez dans son moka, le heros
[20]racontait d'une voix emue tous les dangers qui l'attendaient
la-has. Il disait les longs affuts sans lune, les marais pestilentiels,
les rivieres empoisonnees par la feuille du laurier-rose, les
neiges, les soleils ardents, les scorpions, les pluies de sauterelles;
il disait aussi les moeurs des grands lions de l'Atlas, leur facon
[25]de combattre, leur vigueur phenomenale et leur ferocite au
temps du rut....
Puis, s'exaltant a son propre recit, il se levait de table, bondissait
au milieu de la salle a manger, imitant le cri du lion, le
[30]bruit d'une carabine, pan! pan! le sifflement d'une balle explosible,
pfft! pfft! gesticulait, rugissait, renversait les chaises....
Autour de la table, tout le monde etait pale. Les hommes se
regardaient en hochant la tete, les dames fermaient les yeux avec
de petits cris d'effroi, les vieillards brandissaient leurs longues
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cannes belliqueusement, et, dans la chambre a cote, les petits
garconnets qu'on couche de bonne heure, eveilles en sursaut
par les rugissements et les coups de feu, avaient grand'peur et
demandaient de la lumiere.
[5]En attendant, Tartarin ne partait pas.
XI
_Des coups d'epee, Messieurs, des coups d'epee....
Mais pas de coups d'epingle!_
Avait-il bien reellement l'intention de partir?... Question
delicate, et a laquelle l'historien de Tartarin serait fort embarrasse
de repondre.
Toujours est-il que la menagerie Mitaine avait quitte Tarascon
[10]depui
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