fant, je jouais entre les blanches pattes de
ma mere _Tanbella_, vive Espagnole a l'oeil rouge et a la dent aigue!
Je crois entendre la voix du pasteur chantant la ballade des montagnes
aux echos sauvages, etonnes de repondre a une voix humaine dans cette
apre solitude. Je retrouve dans ma memoire son costume etrange, son
cothurne de laine rouge, appele _spardilla_; son berret blanc et bleu,
son manteau taillade et sa longue espingole plus fidele gardienne de
son troupeau que la houlette, paree de rubans, que les bergeres de
Cervantes portaient au temps de l'age d'or.
Je revois les pics menacants, embellis de toutes les couleurs du
prisme refletees sur la glace seculaire; les torrents ecumeux, dont la
voix terrible assourdit les simples mortels; les lacs paisibles bordes
de safran sauvage et de rochers blancs comme le marbre de Paros; les
vieilles forteresses mauresques abandonnees aux lezards et aux
choucas, les forets de noirs sapins, et les grottes imposantes comme
l'entree du Tartare.--Pardonnez a ma faiblesse, ce retour sur un temps
pour jamais efface de ma destinee, et qui remplit mon coeur de
melancolie.
Mais, dites-moi, Fleury, si vous avez autant d'ame qu'un chien comme
moi peut en avoir, pensez-vous qu'un simple et hardi montagnard soit
un digne courtisan du despotisme, un conspirateur dangereux, un
affilie de Lulworth. Non, vous ne le pensez pas! Vous avez pu me voir
lire _la Quotidienne_: ma maitresse la recoit, et je ne la soupconne
pas d'etre infectee de ces gothiques prejuges, de ces haineux
ressentiments. Je la lis comme vous la liriez, avec degout et mepris,
pour savoir seulement jusqu'ou l'acharnement des partis peut porter
des hommes egares. Mais combien de fois, transporte d'une vertueuse
indignation, j'ai fait voler d'un coup de patte, ou mis en pieces d'un
coup de dent, ces feuilles empreintes de mauvaise foi et d'esprit de
vengeance!
Cessez de le dire, et vous, ma chere maitresse, mon estimable amie,
gardez-vous de le croire. Jamais Brave, jamais le chien honore de
votre confiance et enchaine par vos bienfaits, ne meconnaitra ses
devoirs et n'oubliera le sentiment de sa dignite. Qu'on vienne, au nom
de Charles X ou de Henri V, attaquer votre tranquille demeure, vous
verrez si Brave ne vaut pas une armee. Vous reconnaitrez la purete de
son coeur indignement meconnue par vos frivoles amis, vous jugerez
alors entre eux et moi!
Et vous, jeunes gens sans experience et sans frein, j'ai pitie de
|