Sa derniere
lettre est charmante.
Adieu, mon cher enfant. Je vous embrasse comme je vous aime. C'est du
fond de mon ame.
LXXII
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Paris, 19 juillet 1831
Mon bon Charles,
Soyez misericordieux et pardonnez a la lenteur de mes lettres. Je suis
enfin installee quai Saint-Michel, 25, et j'espere desormais ne plus
m'exposer au remords de laisser sans reponse prompte vos lettres
bonnes et aimables. Je vous laisse a penser ce qu'il a fallu de
memoire, de jambes, de patience et de temps, pour acheter tout un
petit menage depuis la pelle jusqu'aux mouchettes: c'est a n'en pas
finir. Le pis de tout cela, c'est l'argent que cela coute. J'aurais
tort de me plaindre pourtant. Je n'ai rien paye et je payerai s'il
plait a Dieu.
Le Gaulois et moi comptons sur une bonne tuerie patriotique, ou sur un
bon cholera-morbus, qui nous delivrera de l'infame sequelle des
creanciers. D'ailleurs, n'allons-nous pas avoir la republique? et le
premier article de la nouvelle Charte portera, j'espere, que les
dettes sont supprimees et tous les creanciers deportes. Nous leur
faisons grace de la vie, parce que nous sommes grands et genereux,
mais qu'ils ne s'avisent jamais de rappeler le passe! (Il n'y que des
carlistes et des jesuites capables de tant de ressentiment.) Nos
creanciers, s'ils veulent eviter la guillotine, qui est, comme chacun
sait, _soeur de la liberte_, doivent nous delivrer a tout jamais de
leur odieuse presence, et purger le sol de la patrie regeneree de leur
impur et stupide trafic. Tel sera le texte du premier discours du
Gaulois a la prochaine assemblee constituante.
Mon bon camarade, pourquoi ne travaillez-vous plus? Evitez du moins
l'ennui, ne fut-ce qu'en taillant des cure-dents. Planet en fait une
consommation qui vous tiendra en haleine. Si vous n'avez pas l'espoir
de succeder a votre pere et que les chiffres vous rebutent, faites
autre chose; lisez, instruisez-vous, la vie est toujours trop courte
pour tout ce qu'on peut apprendre. Ecrivez des romans, des comedies,
des proverbes, des drames: tout cela vous fera travailler sans ennui
et vous forcera a des recherches historiques qui vous arriveront
pleines d'interet et de vie.
S'ennuyer! je ne le concois pas pour vous. Etre triste! c'est
different, cela. Cette solitude, les degouts de cette petite existence
de la province, sont bien faits pour serrer le coeur. J'en sais
quelque chose. _
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