pas, et pourtant rendez-le heureux. Vous avez ce qu'il faut pour
l'instruire sans le rendre miserable: de la fermete et de la douceur.
Dites-moi s'il prend ses lecons sans chagrin. Pres de lui, je sais
montrer de la severite; de loin, toutes mes faiblesses de mere se
reveillent et la pensee de ses larmes fait couler les miennes. Oh!
oui, je souffre d'etre separee de mes enfants. J'en souffre bien! Mais
il ne s'agit pas de se lamenter; encore un mois, et je les tiendrai
dans mes bras. Jusque-la, il faut que je travaille a mon entreprise.
Je suis plus que jamais resolue a suivre la carriere litteraire.
Malgre les degouts que j'y rencontre parfois, malgre les jours de
paresse et de fatigue qui viennent interrompre mon travail, malgre la
vie plus que modeste que je mene ici, je sens que mon existence est
desormais remplie. J'ai un but, une tache, disons le mot, une
_passion_. Le metier d'ecrire en est une violente, presque
indestructible. Quand elle s'est emparee d'une pauvre tete, elle ne
peut plus la quitter.
Je n'ai point eu de succes. Mon ouvrage a ete trouve invraisemblable
par les gens auxquels j'ai demande conseil. En conscience, ils m'ont
dit que c'etait trop bien de morale et de vertu pour etre trouve
probable par le public. C'est juste, il faut servir le pauvre public a
son gout et je vais faire comme le veut la mode. Ce sera mauvais. Je
m'en lave les mains. On m'agree dans la _Revue de Paris_, mais on me
fait languir. Il faut que les noms connus passent avant moi. C'est
trop juste. Patience donc. Je travaille a me faire inscrire dans _la
Mode_ et dans _l'Artiste_, deux journaux du meme genre que la _Revue_.
C'est bien le diable si je ne reussis dans aucun.
En attendant, il faut vivre. Pour cela, je fais le dernier des
metiers, je fais des articles pour _le Figaro_. Si vous saviez ce que
c'est! Mais on est paye sept francs la colonne et avec ca on boit, on
mange, on va meme au spectacle, en suivant _certain conseil que vous
m'avez donne_. C'est pour moi l'occasion des observations les plus
utiles et les plus amusantes. Il faut, quand on veut ecrire, tout
voir, tout connaitre, rire de tout. Ah! ma foi, vive la vie d'artiste!
Notre devise est _liberte_.
Je me vante un peu pourtant. Nous n'avons pas precisement la _liberte_
au _Figaro_. M. de Latouche, notre _digne_ patron (ah! si vous
connaissiez cet homme-la!) est sur nos epaules, taillant, rognant a
tort et a travers, nous imposant ses lubies, ses aberra
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