Quelque chose_ seulement, car j'ai une ressource
immense: la societe de mes enfants. Vous, tout seul, tout reveur, sans
un ami qui vous comprenne bien, souffrant de ces peines sans nom que
le vulgaire regarde comme une manie et une affectation, cherchant a
repandre votre coeur dans un coeur de la meme nature, et ne trouvant
que de bonnes et simples ames qui vous disent d'un air surpris:
"Comment! vous vous plaignez? n'etes-vous pas riche? A votre place, je
serais heureux!" etc.
Eh bien, je vous vois d'ici et je sais tout ce que vous devez
souffrir. L'isolement tue les ames actives. Il enerve le caractere;
mais il redouble le feu interieur et joint, au tourment de desirer, le
tourment de ne pouvoir pas _vouloir_.
N'est-ce pas la ou vous en etes souvent? Je n'ose pas vous dire:
"Sortez-en, venez a nous!" Mais combien je le desire! nous vous aimons
comme vous meritez d'etre aime. Je crois qu'au milieu de nous, vous
reprendrez vite a la vie. Ecrivez donc souvent et beaucoup; vous avez
toujours le temps, vous.
Si vous allez a Nohant, dites donc a Boucoiran que mon fils m'ecrit
bien peu, et que cela me fait beaucoup de peine.
Adieu, mon ami. Ecrivez, ou faites mieux, venez!
Je n'ai pas achete la natte de votre mere, ni les lunettes pour
Decaudin. J'ai une raison honteuse, secrete, mais _invulnerable_. Je
n'ai pas un sou. Je paye ecu par ecu mes damnes marchands. O Misere!
je te ferai elever un temple si tu me quittes un jour; car ceux que tu
hantes sont plus heureux qu'on ne pense!
Le Gaulois m'a defendu de fermer ma lettre, disant qu'il voulait vous
ecrire. C'est une raison pour n'y pas compter...
Le voila! Il dit qu'il vous ecrira _demain_: vous connaissez le
_demain_ du Gaulois.
LXXIII
A MAURICE DUDEVANT. A NOHANT
Paris, juillet 1831.
J'ai bien du chagrin quand tu ne m'ecris pas, mon petit enfant. J'ai
recu tes trois lettres; mais c'est bien peu. Cela ne fait qu'une par
semaine. Autrefois, tu m'en ecrivais deux et souvent trois. Cela ne
t'amuse donc plus de m'ecrire? tu n'as pas besoin de montrer tes
lettres, ni de les ecrire avec tant de soin que ce soit un travail.
Quand tu m'envoyais des barbouillages et des bonshommes, j'aimais
autant cela. Ecris-moi donc aussi mal que tu voudras, ne fut-ce que
quelques lignes. Passer huit jours sans nouvelles de toi et de ta
soeur, c'est bien long et je suis souvent bien triste. J'ai besoin de
te savoir gai et heureux; sa
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