l'entourage a l'independance. Vous seule pouvez savoir
lequel vous aimeriez mieux sacrifier. Moi, je ne sais pas supporter
l'ombre d'une contrainte, c'est la mon principal defaut. Tout ce qu'on
m'impose comme devoir me devient odieux; tout ce qu'on me laisse faire
de moi-meme, je le fais de tout mon coeur. C'est souvent un grand
malheur d'etre ainsi fait, et mes torts, quand j'en ai, viennent tous
de la.
Mais peut-on changer sa nature? Si vous aviez beaucoup d'indulgence
pour ce travers, vous m'en trouveriez bientot corrigee sans savoir
comment. On l'augmente en moi, en me le reprochant sans cesse; et
cela, je vous jure que ce n'est point esprit de contradiction, c'est
penchant involontaire, irresistible. Vous me connaissez fort peu,
j'ose le dire, ma chere maman. Il y a bien des annees que nous n'avons
vecu ensemble, et souvent vous oubliez que j'ai vingt-sept ans, que
mon caractere a du subir bien des changements depuis ma premiere
jeunesse.
Vous me supposez surtout un amour du plaisir, un besoin d'amusement et
de distraction que je suis loin d'avoir. Ce n'est pas du monde, du
bruit, des spectacles, de la parure qu'il me faut; vous seule etes
dans l'erreur sur mon compte; c'est de la liberte. Etre toute seule
dans la rue et me dire a moi-meme: "Je dinerai a quatre heures ou a
sept, suivant mon bon plaisir; je passerai par le Luxembourg pour
aller aux Tuileries, au lieu de passer par les Champs-Elysees, si tel
est mon caprice." Voila ce qui m'amuse beaucoup plus que les fadeurs
des hommes et la raideur des salons.
Si je rencontre des coeurs qui prennent mes innocentes fantaisies pour
des vices hypocrites, je ne sais pas me donner la peine de les
dissuader. Je sens que ces gens-la m'ennuient, me meconnaissent et
m'outragent. Alors je ne reponds rien et je les plante la. Suis-je
bien coupable? Je ne cherche ni vengeance ni reparation, je ne suis
pas mechante: j'oublie. On dit que je suis legere, parce que je ne
suis pas haineuse et que je n'ai pas meme l'orgueil de me justifier.
Mon Dieu! quelle rage avons-nous donc, ici-bas, de nous tourmenter
mutuellement, de nous reprocher aigrement nos defauts, de condamner
sans pitie tout ce qui n'est pas taille sur notre patron?
Vous, ma chere maman, vous avez souffert de l'intolerance, des fausses
vertus, des gens a grands principes. Votre beaute, votre jeunesse,
votre independance, votre caractere heureux et facile, combien ne les
a-t-on pas noircis! Quelles amertumes
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