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qu'abjurant son aversion, elle m'a remerciee avec elan, j'ai eprouve
combien la vengeance noble, celle qui consiste a rendre le bien pour
le mal, est un sentiment pur et doux. Nous nous sommes quittees tres
reconciliees. Je parierais bien qu'a la Chatre et a Nohant surtout, ma
conduite passerait pour un trait de folie. N'en parlez pas; mais, si
on en parle et si l'on m'accuse, laissez dire.
Je ne crois pas, mon cher enfant, a tous les chagrins qu'on me predit
dans la carriere litteraire, ou j'essaye d'entrer. Il faut voir et
apprecier quels motifs m'y poussent, quel but je poursuis. Mon mari a
fixe ma depense particuliere a trois mille francs. Vous savez que
c'est peu pour moi qui aime a donner et qui n'aime pas a compter. Je
songe donc uniquement a augmenter mon bien-etre par quelques profits.
Comme je n'ai nulle ambition d'etre connue, je ne le serai point. Je
n'attirerai l'envie et la haine de personne. La plupart des ecrivains
vivent d'amertumes et de combats, je le sais; mais ceux qui n'ont
d'autre ambition que de gagner leur vie vivent a l'ombre paisiblement.
Beranger, le grand Beranger lui-meme, malgre sa gloire et son eclat,
vit retire a part de toutes les coteries. Ce serait bien le diable si
un pauvre talent comme le mien ne pouvait se derober aux regards. Le
temps n'est plus ou les editeurs faisaient queue a la porte des
ecrivains. La chose est renversee. De tous les etats, le plus libre et
le plus obscur, peut-etre, est celui d'auteur pour qui n'a pas
d'orgueil et de fanfaronnade. Quand on vient me dire que _la gloire_
est un chagrin de plus que je me prepare, je ne puis m'empecher de
rire de ce mot, qui n'est pas heureux, et de tous ces lieux communs
qui ne sont applicables qu'au genie et a la vanite. Je n'ai ni l'un ni
l'autre, et j'espere ne connaitre aucune de ces tracasseries qu'on
croit inevitables. J'ai ete incitee chez Keratry et chez madame
Recamier. J'ai eu le bon sens de refuser. Je vais chez Keratry le
matin et nous causons au coin du feu. Je lui ai raconte comme nous
avions pleure en lisant _le Dernier des Beaumanoir_. Il m'a dit qu'il
etait plus sensible a ce genre de triomphe qu'aux applaudissements des
salons. C'est un digne homme. J'espere beaucoup de sa protection pour
vendre mon petit roman. Je vais paraitre dans la _Revue de Paris_.
J'en ai enfin la certitude; ce sera un pas immense de fait.
Voila ou j'en suis. Adieu, mon cher enfant; je vous embrasse de tout
mon coeur. J'ai beaucou
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