ne sont pas venues empoisonner
votre brillante destinee! Une mere indulgente et tendre qui vous eut
ouvert ses bras a chaque nouveau chagrin et qui vous eut dit: "Laisse
les hommes te condamner; moi, je t'absous! laisse-les te maudire; moi,
je te benis!" Que de bien elle vous eut fait! quelle consolation elle
eut repandue sur les degouts et les petitesses de la vie!
On vous a dit _que je portais culotte_, on vous a bien trompee; si
vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En
revanche, je ne veux point qu'un mari porte mes jupes. Chacun son
vetement, chacun sa liberte. J'ai des defauts, mon mari en a aussi,
et, si je vous disais que notre menage est le modele des menages,
qu'il n'y a jamais eu un nuage entre nous, vous ne le croiriez pas. Il
y a dans ma position comme dans celle de tout le monde, du bon et du
mauvais. Le fait est que mon mari fait tout ce qu'il veut; qu'il a des
maitresses ou n'en a pas, suivant son appetit; qu'il boit du vin
muscat ou de l'eau claire selon sa soif; qu'il entasse ou depense,
selon son gout; qu'il batit, plante, change, achete, gouverne son bien
et sa maison comme il l'entend. Je n'y suis pour rien.
Je trouve tout fort bon, parce que je sais qu'il a de l'ordre, qu'il
est plutot econome que prodigue, qu'il aime ses enfants et qu'il ne
songe qu'a eux dans tous ses projets. Je n'ai pour lui, vous le voyez,
que de l'estime et de la confiance, et, depuis que je lui ai
entierement abandonne l'autorite des biens, je ne crois pas qu'on
puisse me soupconner encore de vouloir le dominer.
Il me faut peu de chose: la meme pension, la meme aisance qu'a vous.
Avec mille ecus par an, je me trouve assez riche, moyennant que ma
plume me fait deja un petit revenu. Du reste, il est bien juste que
cette grande liberte dont jouit mon mari soit reciproque: sans cela,
il me deviendrait odieux et meprisable; c'est ce qu'il ne veut point
etre. Je suis donc entierement independante; je me couche quand il se
leve, je vais a la Chatre ou a Rome, je rentre a minuit ou a six
heures; tout cela, c'est mon affaire. Ceux qui ne le trouveraient pas
bon et vous tiendraient des propos sur mon compte, jugez-les avec
votre raison et avec votre coeur de mere; l'un et l'autre doivent etre
pour moi.
J'irai a Paris cet ete. Tant que vous me temoignerez que je vous suis
agreable et chere, vous me verrez heureuse et reconnaissante. Si je
trouve autour de vous des critiques ameres, des soupcons offensa
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