enir et
rajeunisse votre coeur comme elle a rajeuni le mien, bien plus vieux,
helas! bien plus mortellement froisse que le votre! Croyez en nous, et
vous serez heureux partout meme a la Chatre.
Venez pres de nous, dans notre Paris, ou regne sinon la liberte
publique, du moins la liberte individuelle. Nous aurons de temps en
temps un billet de parterre aux Italiens ou a l'Opera. Quand nous
n'aurons pas le sou, nous irons voir les cathedrales, ca ne coute rien
et c'est toujours interessant a etudier. Ou bien nous prendrons le
frais sur mon balcon, nous verrons passer l'emeute nouvelle, nous
cracherons sur tout cela, battants et battus, tous fous a faire pitie.
Nous garrotterons le Gaulois pour l'empecher d'y prendre part, nous
ferons brailler Planet et nous nous amuserons des manies de chacun de
nous, sans les froisser, sans en souffrir. Dans le jour, nous
travaillerons, car il faut travailler! Quand on ne s'est pas renferme
le matin comme nous disions l'autre fois au Coudray, on n'a pas de
plaisir a se trouver libre le soir. Il faut s'imposer la gene une
moitie de sa vie pour s'amuser l'autre moitie. Vous vous creerez une
occupation, ne fut-ce que de mettre en rapport Claire et Philippe,
Jehan Cauvin et la cathedrale, Berido et la prima donna[2]. Nous
louerons un piano et nous nous y remettrons tous les deux. Si vous ne
vous trouvez pas bien de votre vie de garcon, il sera toujours temps
de vous marier; car, avec nous, liberte de rompre quand vous voudrez;
mais essayez-en d'abord; apres, vous verrez. Il y aura toujours des
filles nubiles, c'est une espece qui croit et multiplie par la grace
de Dieu.
Et puis, mon bon Charles, marie ou veuf ou garcon, que vous soyez
Charlot ruminant dans sa chambrette sur les miseres de l'etudiant, de
l'artiste et du celibataire, ou bien M. le receveur au sein de son
_interessante_ famille, que vous soyez libre de nous venir trouver ou
que votre future epouse vous le defende, aimez-nous toujours, et,
croyez-le, quand vous pourrez vous echapper, vous nous trouverez
joyeux de vous voir et empresses a vous distraire. En attendant, nous
allons parler de vous.
Adieu donc; je vous embrasse. Venez le plus tot que vous pourrez.
[1] Du nom d'un ami de Duvernet appele Decaudin.
[2] Heroines de divers fragments litteraires inedits de George Sand.
LXIX
A MAURICE DUDEVANT, A LA CHATRE
Orleans, samedi 3 juillet 1831.
Mon cher amour, je suis ar
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