decin de la
pension juge qu'elle peut sortir de l'infirmerie. Il faut au moins
quarante jours de soins extremes et d'atmosphere egale. On n'en a pas
tenu compte. On a appele sa mere et on a consenti a lui laisser soigner
l'enfant quand on l'a vue perdue. Elle est morte dans ses bras en
souriant et en parlant, etouffee par une enflure generale, sans se
douter qu'elle fut malade, mais frappee de je ne sais quelle divination
et disant d'un air tranquille: "Non, va, ma petite maman, je n'irai
pas a Nohant, je ne sortirai pas d'ici, moi!"--Ma pauvre fille me l'a
apportee, elle est a Nohant!--Elle a de la force et de la sante, Dieu
merci; moi, j'ai eu du courage, je devais en avoir; mais, maintenant
que tout est calme, _arrange_, et que la vie recommence avec cet enfant
supprime de ma vie..., je ne peux pas vous dire ce qui se passe en moi,
et je crois qu'il vaut mieux ne pas le dire.--Ce que je veux vous dire,
c'est que le livre m'a fait du bien, lui et Leibnitz. Je savais tout
cela, je n'aurais pas pu le dire, je ne saurais pas l'etablir, mais j'en
etais sure et j'en suis sure. Je vois la vie future et eternelle devant
moi comme une certitude, comme une lumiere dans l'eclat de laquelle les
objets sont insaisissables; mais la lumiere y est, c'est tout ce qu'il
me faut. Je sais bien que ma Jeanne n'est pas morte, je sais bien
qu'elle est mieux que dans ce triste monde, ou elle a ete la victime des
mechants et des insenses. Je sais bien que je la retrouverai et qu'elle
me reconnaitra, quand meme elle ne se souviendrait pas, ni moi non plus.
Elle etait une partie de moi-meme, et cela ne peut etre change. Mais ces
beaux livres qui excitent notre soif de partir ont leur cote dangereux.
On se sent partir avec eux, on s'en va sur leurs ailes, et il faudrait
savoir rester tout le temps qu'on doit rester ici. J'en ai bien la
volonte; le devoir est si clairement trace, qu'il n'y a pas de revolte
possible; mais je sens mon ame qui s'en va malgre moi. Elle ne se
detache pas de mes autres enfants ni de mes amis. Elle voudrait suffire
a sa tache et donner encore du bonheur aux autres. Mais plus elle voit
ce qu'il y a au dela de la vie de ce monde, plus elle se separe de la
volonte, qui se trouve insuffisante. Je dis l'ame, faute de savoir dire
ce que c'est qui me quitte; car la volonte ne devrait pas etre quelque
chose en dehors de l'ame; mais la volonte ne retient pourtant pas l'ame
quand l'heure est venue.
Ne repondez pas a tout cela,
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