n gout de sa reserve, on vous sent la et on vous voit lutter
contre la matiere avec beaucoup de nerf et de _furia francese_.
Mais, encore une fois, a qui en aviez-vous? Vous saviez bien,
monseigneur, que l'eternel hiver des regions polaires ne connait pas les
princes, et ne veut pas ranger ses bataillons flottants pour leur ouvrir
le passage.
Dans ce moment-la, vous aimiez donc passionnement le but, non pas l'ile
de Jean-Mayen, qui ne me parait pas devoir etre un paradis terrestre,
mais le fait scientifique dont vous cherchiez a vous emparer. Or, si
vous avez de telles aptitudes de volonte, pourquoi faut-il qu'elles ne
recoivent leur developpement que dans des situations exceptionnelles,
comme les grands voyages et les grands perils? Je ne dis pas de mal des
voyages et des dangers, c'est la poesie de la chose; mais pourquoi tant
d'explorations dans le monde de la science, que l'on peut faire au coin
du feu, ne sont-elles pas reglees par vous de maniere a vous donner,
_a toute heure_, les emotions vives de la decouverte, et les joies
serieuses de la conquete, en meme temps que vous en feriez profiter tout
le monde?
Voila, cher Altesse Imperiale, ce que vous soumet votre humble amie
du desert, occupee du desir de vous voir apprecie de tous comme
d'elle-meme, et, avant tout, desireuse de vous voir trouver en vous-meme
la force et les satisfactions que d'autres ont cherchees dans le hasard,
en jouant leur ame a pile ou face.
Merci de vos bonnes lettres et croyez-moi bien a vous de coeur
serieusement et sincerement.
GEORGE SAND.
CDXX
A M. CHARLES-EDMOND, A PARIS
Nohant, 9 janvier 1858.
Je ne peux pas dire avec vous que je regrette beaucoup personnellement
Rachel. Je la voyais si rarement, que sa mort ne me fait point de vide;
mais je dis avec tout le monde que c'est un grand coup de plus porte a
l'art, c'est-a-dire au sens du beau, et a cet ideal qui, sous toutes les
formes, nous est aussi necessaire que le bien et le bon.
Nous risquons de descendre tous, si quelques-uns ne montent pour nous
dire que la vie est sur les hauteurs, et non dans les cloaques. Elle
avait monte plus haut qu'aucune artiste dramatique de son temps.
Qu'importe a present que, dans la vie privee, elle ait trop cherche
la realite? On pouvait s'en affliger quand on la voyait de pres; mais
toutes les individualites ont le point de vue qui leur est propre:
derriere la rampe, elle etait pretresse
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