fin qui s'en vont du ciel au fond de
la terre, un tas de constructions inexplicables, les vestiges d'un luxe
insense ensevelis sous la misere; et tout cela au sommet d'un panorama
de montagnes, de terres, de mers a donner le vertige. C'est trop beau.
Sur ce, bonsoir, mon Lambert; nous pensons rester ici une quinzaine, et,
quand nous serons decides sur la suite du voyage, nous te donnerons de
nos nouvelles. Je t'embrasse de la part des petits camarades et de la
mienne. Au revoir au mois de mai.
Pense a nous.
G. SAND.
CCCXC
A M. JULES NERAUD, A LA CHATRE
Frascati, 14 avril 1855
Cher ami,
Nous sommes a Frascati depuis quinze jours et voulons y rester encore
une semaine. Maurice, apres avoir ete assez souffrant au debut de notre
installation, va si bien, qu'il ne songe qu'a manger, dormir et courir.
Je suis ce regime pour mon compte et je m'en trouve assez bien,
physiquement parlant. Quant au cerveau, c'est une atrophie complete. Se
lever matin, faire cinq ou six lieues a pied tous les jours, rentrer
affamee, tomber de sommeil apres un affreux diner de gargote que
l'appetit fait trouver bon, je vous laisse a penser si c'est la une
vie interessante. Pourtant j'amasse, sans trop m'en apercevoir, des
souvenirs qui m'interesseront plus tard, quand j'aurai le loisir de
songer a ce qui ne fait que passer devant moi maintenant.
C'est un admirable pays que nous parcourons, et bien digne de remarque
pour _s'ancrer_ dans les opinions qu'on y apporte d'ailleurs. La nature
y est belle, surtout _jolie_; car ne croyez pas un mot de la grandeur et
de la sublimite des aspects de Rome et de ses environs. Pour qui a
vu autre chose, c'est tout petit; mais c'est d'un coquet ravissant.
Entendons-nous pourtant, c'est le petit dans le grand; car cette
campagne romaine, tout unie, est immense comme une mer environnee de
montagnes. Mais les details, les ruines, les palais, les eglises, les
collines, les lacs, les jardins, tout cela parait hors de proportion
avec la scene qui les continue.
Pour nous autres, c'est une maniere de vivre tres recreative, que de
courir toute la journee dans la solitude et de decouvrir nous-memes le
pays. Les guides sont ennuyeux et ne connaissent pas les chemins. Nous
nous en passons. Enfin vous pouvez vous figurer notre existence, vous
qui savez tout ce qu'il y a pour nous dans une promenade a Crevant ou
au bois de Boulaize. Maintenant nous ramassons des plan
|