t j'en
dirais trop!
Le plus affreux; c'est qu'on me l'a tuee, ma pauvre enfant[1], tuee de
toute facon. Ah! monsieur, sauvez la votre, ne la laissez pas sortir de
l'infirmerie, et, quand elle sera guerie, otez-la de cette pension ou
la malproprete est sordide. Les parents ne laissent pas si facilement
mourir leurs enfants quand ils les ont aupres d'eux. Ils ne se fatiguent
pas d'une longue convalescence a surveiller, les parents qui sont de
vrais parents.
Il y en a qui sont fous et qui croient qu'un enfant est une chose qu'on
peut negliger et oublier. Ma pauvre fille n'eut pas laisse mourir la
sienne, et moi aussi, je suis bien sure que je l'aurais sauvee! Je n'ai
pas l'honneur de vous connaitre, monsieur, mais je suis bien touchee de
ce que vous me dites.
Merci mille fois! je fais des voeux bien tendres et bien sinceres pour
votre chere petite. Ma fille vous remercie aussi.
GEORGE SAND.
[1] Sa petite-fille Jeanne Clesinger.
CCCLXXXV
A EDOUARD CHARTON, A PARIS
Nohant, 14 fevrier 1855.
Cher ami,
Je vous ai laisse souffrant. Etes-vous mieux? Parlez-moi de vous. Il y
a bien longtemps que je veux vous ecrire. J'allais vous adresser une
longue lettre sur le beau livre dont nous parlions ensemble. Je l'avais
lu[1]. Mais que de chagrins m'ont frappee tout a coup! d'abord j'ai
perdu deux de mes amis, et faut-il etre assez malheureux pour avoir a le
dire, cela n'etait rien! J'ai perdu subitement cette petite-fille que
j'adorais, ma Jeanne dont je vous avais parle et dont l'absence, vous le
savez, m'etait _si_ cruelle. J'allais la ravoir, le tribunal me l'avait
confiee. Le pere resistait par amour-propre: sans M. B..., qu'une haine
sournoise, instinctive, non motivee sur des faits que je sache, mais
ancienne et tenace, excitait contre moi, ce pere m'eut de lui-meme
ramene l'enfant. Il le voulait, il l'avait voulu. L'avocat--le
conseil--ne voulait pas. Ils appelaient donc du jugement, et ce jugement
n'etait pas executoire sur-le-champ. J'ecrivais en vain a ce dur et
froid avocat que ma pauvre petite etait mal soignee, triste et comme
consternee dans cette pension ou il l'avait mise, lui! Et, pendant ces
pourparlers, le pere faisait sortir sa fille, en plein janvier, sans
s'apercevoir qu'elle etait en robe d'ete. Le soir, il la ramene malade
a la pension et s'en va chasser loin de Paris, on ne sait ou. L'enfant
avait la scarlatine. Elle en guerit tres vite, mais le me
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