'il faudrait pouvoir
toujours regarder, sans preoccupation des soucis inevitables de la vie
materielle, des devoirs qui excedent quelquefois nos forces, et sans
ces dechirements d'entrailles que rien ne peut apaiser. C'est une loi
providentielle a coup sur que la tendresse folle des meres; mais la
Providence est bien dure a l'homme, a la femme surtout. Cher ami, adieu;
je suis a vous de coeur et d'esprit.
G. SAND
[1] _Terre et Ciel_, par Jean Reynaud.
CCCLXXXVI.
A MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, A LUNEVILLE
Nohant, 14 fevrier 1855.
Ma chere mignonne, si je ne t'ecris pas, tu sais que ce n'est pas trop
ma faute. Je suis toujours malade, etouffee, j'ai des douleurs partout,
je ne peux pas travailler, je ne peux pas me consoler.
J'ai eu le courage qu'il fallait, dans les premiers moments; a present,
je paye ce courage-la en detail par une fatigue extreme.
Je ne veux pas m'y abandonner cependant. Maurice veut que j'aille passer
le mois de mars a Nice ou a Genes, et je le lui ai promis.
Je suis desolee de ces rhumes de Bertholdi qui t'inquietent tant. On
peut tousser bien longtemps, sans qu'il y ait rien de grave; mais je
sais par experience combien cela fatigue, combien cela porte sur les
nerfs, a soi-meme et aux autres. Certainement, il faudrait pouvoir fuir
ce froid de Luneville, comme je vais fuir les souvenirs trop amers et
trop cruels de ma maison, toute pleine de cette enfant. Mais que faire?
La gene est l'obstacle a tout. Il faudra que je revienne presque tout de
suite travailler, et, quand Bertholdi s'absente, c'est la meme chose. Ce
ne sont pas quelques jours de repos qu'il lui faudrait. C'est toute une
vie plus douce. Comment et de qui l'obtenir?
Tu ne m'as pas dit si Georget avait bien supporte son voyage, et s'il
avait repris les belles couleurs qu'il, avait un peu perdues ici. Aie
bien soin de lui et ne t'en separe qu'a bonnes enseignes.
Solange est a Paris mieux portante et plus tranquille du cote de ses
affaires. Son pere s'execute un peu avec elle, son mari pas du tout.
Elle pensait pouvoir t'etre utile, et, sans notre malheur, je suis sure
qu'elle aurait fait son possible. Elle y reviendra certainement quand
elle pourra sortir et se montrer un peu.
Embrasse toute ta chere maison pour moi: George, Charles et Marie, a qui
je n'ai pas la force d'ecrire. Je n'ecris plus a personne, je ne peux
pas. Chaque fois que je parle de moi, meme pour dire u
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