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Et les femmes, sur leur porte, repetaient en choeur, d'un air ebahi:
"C'est-il _emaginant, c'te chouse-la!_ ca s'est jamais vu! j'compte
qu'on _zen verra pus jamais!_ C'est pour te dire aussi qu'avec la grande
voiture et les deux chevaux jusqu'a Cluis, ou Henri, envoye de la
veille, nous attend avec la petite voiture et la jument _camuse_, on
peut faire la route assez vite et sans avoir tres froid. Nous avions
donne rendez-vous a Sylvain pour venir nous attendre a Cluis, au retour.
Ne crois donc pas que je ne me dorlote pas, malgre mes escapades. C'est
tout de meme gentil, d'avoir ete sur la pointe du Capucin le 12 janvier.
Il nous reste a voir ca dans les grandes eaux, ce doit etre tres beau
aussi. Je t'ai bien regrette. Il y avait dans le brouillard des choses
superbes, qu'on ne peut pas expliquer et qu'il faut voir soi-meme.
C'etait drole aussi de voir les enfants, les chiens et les chevres
traverser la Creuse gelee dans les endroits les plus profonds qui
resistent au degel, pendant qu'a deux pas de la, elle bouillonne sur les
ecluses pour passer ensuite sous ces glaces. Comme elle passe aussi
un peu dessus, les figures ont leur reflet tres net dans cette petite
couche d'eau etendue sur la glace, et on croirait que tout cela marche
sur l'eau. Ces traversees d'enfants et de troupeaux au milieu du degel
n'en sont pas moins dangereuses et assez effrayantes a voir. Les chiens
n'y font pas attention. Les petits moutards frappent la glace a coups de
sabot par bravade quand on les regarde. Les chevres, arrivees au milieu
du courant, sont prises de frayeur et ne veulent ni avancer ni reculer.
Les moindres bruits, dans le brouillard du ravin et sur la Creuse prise,
ont une sonorite incroyable; d'une demi-lieue, on entend distinctement
une parole, ou un claquement de fouet.
CDXXIII
A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS
Nohant, 10 janvier 1858.
Cher ami,
J'allais t'ecrire quand j'ai recu ta lettre. Moi aussi, je m'inquietais
d'etre si longtemps sans nouvelles de toi et de vous tous. Je vois que,
Dieu merci, tu prends patience avec une infirmite que je crois toujours
passagere, et qui cedera a la prolongation d'un bon regime et d'une
bonne sante. Tu reconnais que, depuis longtemps, tu negligeais l'etat
general, et il faut bien qu'il se consolide un peu, avant que l'effet
partiel se produise.
Tu auras gagne a cette cruelle epreuve de reconnaitre le devouement des
tiens et ton pro
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