entrailles, sans reflexion, sans coeur, qui vous disent:
"Qu'est-ce que ca fait, les pretres et les mendiants? ca a du caractere,
c'est en harmonie, avec les ruines, on est tres heureux ici, on admire
la pierre, on oublie les hommes."
Eh bien non, je ne veux rien admirer, rien aimer, rien tolerer dans
le royaume de Satan, dans cette vieille caverne de brigands. Je veux
cracher sur le peuple qui s'agenouille devant les cardinaux. Puisque
c'est le seul peuple dont il soit permis de parler, parlons-en! celui
dont on ne parle pas est hors de cause. Si quelqu'un prend, grace a moi,
Rome, telle qu'elle est aujourd'hui, en horreur et en degout, j'aurai
fait quelque chose. J'en dirais bien autant de nous, si on me laissait
faire; mais on a les mains, liees, et je n'insiste jamais pour que
d'autres s'exposent a ma place.
Et puis, d'ailleurs, nous autres Francais, nous ne sommes jamais si
laids qu'un peuple devot et paresseux. Nous nous trompons, nous nous
grisons, nous devenons fous. Mais pourrait-on faire de nous ce que l'on
a fait de Rome? _Chi lo sa?_ peut-etre! Mais nous n'y sommes pas.
Il est donc bon de dire ce qu'on devient quand on retombe sous la
soutane, et j'ai tres bien fait de le dire a tout prix. Cela doit facher
des coeurs italiens; s'ils reflechissent, ils doivent m'approuver.
[1] _La Daniella_.
CDIX
A M. VICTOR BORIE, A PARIS
Nohant, 16 avril, 1857.
Tu n'es qu'un ignoble _potu_[1], un agriculteur, un capitaliste, un
ecrivassier, un decore, un membre de l'Institut; Lambert n'est qu'un
lapin, un chou, un renard pendu, une volaille etripee. Vous ne valez
pas deux liards a vous deux. Il faut que je vous fasse relancer par
Frapolli, qui est un savant, un patriote, un ami des femmes de lettres,
enfin un parfait gentilhomme, pour que l'un de vous daigne se souvenir
que j'existe. Enfin, vous n'aimez que vos ventres et vous avez le coeur
mange aux vers.
Ce n'est pas le travail qui vous excuse, je travaille aussi. Vous
meritez que je ne pense plus jamais a vous.
Je suis bien contente que l'on s'arrache ton livre; mais on ne se
l'arrache pas a Nohant; car il n'a pas daigne y arriver. J'ai repondu a
M. Grenier; son poeme est tres remarquable. Moi, je vois dans le Juif
errant la personnification du peuple juif, toujours riche et banni au
moyen age, avec ses immortels cinq-sous qui ne s'epuisent jamais, son
activite, sa durete de coeur pour quiconque n'est pas de
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