ourgeois dur et vicieux leur fut
presente? Quelle _haine_ veut-on chercher dans les enseignements de
l'art? Sommes-nous au temps de _Tartufe_, ou il n'etait point permis de
montrer la figure de l'hypocrite? Mais, au temps meme de _Tartufe_, les
vrais chretiens ne voyaient dans ce scelerat qu'une ombre favorable a la
vraie lumiere. Je serais tentee de croire, mon cher confrere, que vous
ne croyez pas aux vertus de la bourgeoisie, et que, prenant ses travers
plus au serieux que je ne le fais, vous allez, un de ces matins, me
forcer d'embrasser sa defense.
J'ai donc dit qu'au point de vue de l'art, ma premiere esquisse du
bourgeois Keller m'avait paru trop sechement dessinee. C'etait une
figure trop noire dans un tableau dont je voulais rendre l'effet general
doux et sentimental. Je travaille avec beaucoup plus de conscience qu'il
ne plait a votre charite fraternelle de vouloir bien le supposer. Ceux
qui me voient travailler le savent, et le public, quoi qu'il vous en
semble, veut bien aussi s'en apercevoir; car il accorde des larmes
sympathiques a ce fou impossible de Favilla et des sourires attendris
aux bons retours de ce terrible, Keller, qui n'est a tout prendre que
ridicule. Voyez le grand crime! supposer qu'un ancien marchand de toile
puisse ne pas comprendre la musique, ne pas aimer les artistes, ne pas
distinguer a premiere vue une honnete femme d'une bohemienne, ne
pas vouloir manger tout son revenu en aumones ou en liberalites
seigneuriales, enfin ne pas marier son fils sans hesiter a une fille
qui n'a rien que ses beaux yeux! Voila, en effet, une _condamnation_ du
bourgeois bien cruelle, bien acerbe, bien amere, bien systematique!
La haine systematique, voila le reproche que je repousse, mon cher
confrere; car je ne vois pas l'honneur qui vous revient de professer un
tel sentiment contre les artistes. Combien de fois, en d'autres temps,
n'avez-vous pas fait gloire d'appartenir a cette race du sentiment et de
l'inspiration! et pourquoi cette horreur du comedien affichee par vous
a propos de _Flaminio_, vous qui avez decouvert et illustre l'illustre
paillasse Deburau? Qui donc vous a blesse ainsi, et pourquoi reniez-vous
votre destinee, qui est de voir, de comprendre et d'aimer le theatre?
Je pourrais bien vous mettre cent fois pour une en contradiction avec
vous-meme, en vous citant a vous-meme; mais ce n'est pas pour lutter
contre votre judiciaire artistique que je vous ecris, c'est pour vous
dire: Laissez tom
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