et se
meconnaitre, mais qui sont a la veille de s'entendre, parce que, chez
eux, toute l'aristocratie est dans l'intelligence et dans la vertu, que
la vertu joue du violon, ou que l'intelligence aune de la toile. Comment
et pourquoi voulez-vous qu'un poete _haisse_ celui-ci ou celui-la, parmi
ces travailleurs dont la cause est commune, quels que soient les noms
propres inscrits sur leurs drapeaux, dans le passe, dans le present ou
dans l'avenir?
Ce que le poete hairait et reprouverait, s'il etait prive de raison ou
de charite, c'est la speculation, ce jeu terrible qui fait et defait les
existences au profit les unes des autres, a ce point que, tous les vingt
ans (je parle d'autrefois, desormais ce sera bien plus vite fait), la
propriete change de proprietaires sur le sol de la France. Oui, la
speculation, cette reine des vicissitudes, des luttes, des jalousies et
des passions, cette ennemie de l'ideal et du reve, cette _realiste_ par
excellence, qui pousse les hommes a l'activite fievreuse du succes et
qui dedaigne egalement les contemplations de l'artiste, les labeurs
erudits du critique, les systemes du philosophe et les aspirations
religieuses du moraliste. Au premier aspect, les amants de cette science
seraient les bourgeois, les vrais, les seuls bourgeois desormais, dans
cette societe qui n'a que des noms vieillis et impropres pour les choses
nouvelles. Mais, si l'on y reflechit, cette race ardente, qui envahit
rapidement toutes les forces morales et physiques de notre epoque, n'est
pas une classe a part, ce n'est meme pas une race distincte. C'est comme
l'Eglise du positivisme, qui recrute partout des adeptes, et qui en
trouve chez les poetes comme chez les epiciers, chez les laiques comme
chez les pretres, au sommet de la societe comme dans ses regions les
plus obscures et les plus assujetties; si bien que, pour faire fortune,
ou tout au moins pour echapper a la gene, il ne s'agit plus de
travailler a une tache patiente et quotidienne, d'avoir les vertus du
negoce et les inspirations de l'art; mais il s'agit de comprendre le
mecanisme des banques et le calcul des eventualites financieres, de
tenter des coups hardis, de bien placer son enjeu, de systematiser les
chances du gain; en un mot, de savoir jouer, puisque le jeu en grand est
devenu l'ame de la societe moderne.
Ce serait la, a coup sur, un beau sujet de declamation, pour ceux qui
n'entendent rien a ce que l'on appelle aujourd'hui les affaires; mais,
si
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