votre lettre, et je lui voyais quelque chose de triste,
sans oser l'interroger. J'etais un peu malade, et il n'a voulu
m'apprendre la verite que ce matin; c'etait dans un des plus beaux
endroits de la terre, et il me semble que cette ame fraternelle est
venue me parler la et chercher elle-meme a me consoler de son depart.
Combien de fois il m'avait parle de la mort! Il fut un temps ou il
partageait mes croyances en l'autre vie, et ou, dans des heures de
spleen, car il en avait dans son intarissable gaiete, il me disait et
m'ecrivait qu'il viendrait me parler dans le parfum de quelque fleur.
Vous m'apprenez que Fleury est venu au pays; y est il encore? aurai-je
la consolation de l'y trouver? Je pars d'ici demain pour Genes, de la
tout de suite pour Marseille, et je pense etre a Paris le 15 mai. Je
n'y resterai que le temps de faire l'indispensable de mes affaires, et
j'espere etre chez nous le 20.
Au revoir donc, mes chers enfants bien-aimes. Je vous embrasse de coeur.
[1] La mort de Jules Neraud (le Malgache).
[2] Madame Angele Perigois, fille de Jules Neraud.
CCCXCII
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLEON (JEROME), A PARIS
Nohant, 12 juillet 1855.
Chere Altesse imperiale,
On vient de destituer brutalement le maire de ma commune, M. Felix
Aulard, aux bons vouloirs de qui vous avez bien voulu deja vous
interesser. C'est le plus honnete homme de la terre et qui n'a qu'un
defaut, celui d'ecrire des lettres trop longues. Ajoutez-y celui d'etre
devoue avec enthousiasme a un gouvernement qui, a l'exemple de tant
d'autres, ne recompense que les gens qu'il croit douteux, laissant de
cote ceux dont il est sur. Passe pour l'ingratitude, c'est la reine du
monde sous tous les regimes; mais la persecution, envers les siens,
c'est du luxe.
Tachez de faire reparer cette injustice et de dedommager ce digne et
excellent homme, qui a depense tout son petit avoir pour les pauvres de
sa commune. Il est capable, archicapable d'etre un excellent prefet,
et personne n'entend mieux l'administration; faites-en au moins un
sous-prefet. Ce sera une bonne action, au point de vue du pouvoir. Il
me dit qu'il vous a meme ecrit. Cette fois, de mon propre mouvement, et
sans partialite pour lui, je le recommande a votre attention, a votre
equite, et a cette bonte que je connais si bien.
A vous de coeur, vous le permettez toujours.
GEORGE SAND.
Je suis bien triste de la mort de madame de Gir
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