ber sous vos pieds ces depits qui vous troublent, et ne
commettez pas d'injustices volontaires, quant a la morale des choses. Ma
morale, a moi, c'est la seule force que je revendique contre des arrets
irreflechis, et, puisque vous ne la sentez pas, il est utile, une fois
pour toutes, que je vous la dise.
C'est une moralite du coeur, qui m'est venue surtout avec l'age. Ceci
n'est pas une fantaisie, comme vous l'appelez, c'est un sentiment tres
profond et tres salutaire de ce que les hommes se doivent les uns aux
autres en tout temps et en tout lieu, derriere les coulisses d'un
theatre comme au comptoir d'une boutique, a la clarte, du soleil qui
eclaire les doux reves du poete comme a celle de la lampe qui eclaire
les veilles contemplatives du savant, du philosophe, du speculateur ou
du critique. Voyez-vous, mon cher confrere, vous avez trop veille a
cette lampe pour connaitre les hommes: vous ne connaissez plus que
le papier ecrit, et vous prononcez sur le fond quand vous ne devriez
prononcer que sur la forme. La, en fait de forme, vous ayez ete souvent
un maitre. Nourri de belles lectures et brillant d'erudition, vous
avez ecrit des pages exquises quand vous etiez, sans passion et, sans
prevention. Mais vous n'avez rien d'un philosophe. Et, pour arriver a
etre un critique complet, il faudrait un peu de philosophie. Vous faites
de la critique en artiste, avec des emotions, des boutades, des acces de
poesie et des acces de spleen. Je ne me plains pas quand je vous lis: je
talent que vous avez--quand vous ne vous pressez pas trop--desarme le
jugement, dont vous froissez parfois les notions vraies. On s'ecrie a
chaque page: "Artiste, artiste, et non pas artisan! Muse de theatre et
de poesie, et non pas Minerve Artisane! jamais bourgeois, quoi qu'il
dise et quoi qu'il fasse; car le bourgeois, dans son bon et beau type,
est sage, equitable et consequent. A celui-ci le lourd marteau de la
logique; a l'autre la marotte brillante de la fantaisie."
Vous ne connaissez plus les hommes quand vous essayez de les parquer en
classes distinctes, en artisans, en artistes, en bourgeois, en reveurs,
en bohemiens, en sages, en fous, et meme en riches et en pauvres. Toutes
ces demarcations etaient bonnes, il y a dix ans, et, si nous n'avons
garde la tradition dans nos facons de parler, c'est par habitude.
Ouvrons, les yeux sur la societe presente. Dans ces dernieres agitations
politiques, toutes ses notions, toutes ses habitudes, tous ses
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