e de Shakspeare.
La piece a ete mediocrement jouee par la plupart des acteurs. Les decors
et les costumes splendides, le public tres hostile, compose de tous les
ennemis de la maison et du dehors. Neanmoins, le succes s'est impose
sans que personne ait pu marquer sa malveillance, et Shakspeare a
triomphe plus que je n'y comptais. Moi, j'ai trouve le public bete et
froid; mais tout le monde dit qu'il a ete tres chaud pour un public de
premiere representation a ce theatre, et tous mes amis sont enchantes.
_Francoise_ va tres bien et le succes augmente tous les jours.
Bonsoir, chere fille; il est tard et je vais dormir, me reposer enfin de
trois pieces que j'ai fait jouer depuis quatre mois.
Je t'embrasse tendrement, ainsi que Bertholdi et Georget; je pars pour
Nohant a la fin de la semaine prochaine. Ecris-moi la.
CDIII
A MADAME ARNOULD-PLESSY, A PARIS
Nohant, 1er mai 1856.
Chere mignonne,
Donnez-moi de vos nouvelles. Ne me laissez pas ignorer ce que devient ma
grande fille. Je sais bien qu'elle joue souvent et que, par consequent,
elle n'est pas malade; mais cela ne me dit pas si le coeur est
melancolique ou joyeux. Pourtant ce ne sont pas des questions que je
vous adresse. Je sais comme les questions sont indelicates, quand
elles ne sont pas betes. Je veux seulement que vous sachiez que, sans
curiosite d'esprit, j'ai l'inquietude du coeur, et que, sans savoir le
remede a vos acces de spleen, je voudrais pouvoir le trouver.
Mais il n'y en a pas de radical en ce monde: nous sommes tous tristes ou
soucieux plus ou moins.
J'ai retrouve ici avec delices la campagne, l'air, les conditions
tranquilles et logiques pour l'artiste, et l'amour de l'art plus que
jamais, malgre les luttes, les fatigues, les mecomptes dans le passe et
dans l'avenir. Tout cela, je crois, est bon et nous pousse en avant;
mais ce que j'ai retrouve aussi, c'est la presence de cette enfant qui,
ici, ne me semble jamais possible a oublier. Dans cette maison, dans ce
jardin, je ne peux pas me persuader qu'elle ne va pas revenir un de ces
jours. Je la vois partout, et cette illusion-la ramene des dechirements
continuels. Dieu est bon quand meme: il l'a reprise pour son bonheur, a
elle, et nous nous reverrons tous un peu plus tot, un peu plus tard.
On m'ecrit que vous etes toujours belle et ravissante dans Celia[1], je
ne suis pas en peine de cela.
Soyez heureuse, d'ailleurs, autant qu'on peut
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