HANTEPIE, A ANGERS
Nohant, 27 fevrier 1855.
Mademoiselle,
Je vous conseille et vous prie, meme, puisque vous avez la bonte de
compter sur ma vive sympathie pour vous, de quitter le milieu ou vous
souffrez tant, et d'aller vivre a Paris; vous y trouverez les nobles
distractions dont une ame comme la votre a besoin, la musique, les arts
et des relations que votre intelligence elevee et votre coeur genereux
sauront vite creer.
Si le catholicisme vous est necessaire, vous rencontrerez certainement
un directeur de conscience assez eclaire pour vous guerir de cette
maladie des scrupules, que je connais bien, et que j'ai subie dans ma
jeunesse assez cruellement pour vous comprendre et vous plaindre. Non,
il ne faut pas qu'une ame comme la votre succombe a ces vaines terreurs.
Il faut vous relever par de fortes et saines lectures. Je suis trop
ignorante pour vous les indiquer; mais ecrivez a M. Jean Reynaud,
envoyez-lui ma lettre, si vous voulez. Il saura par la que je vous
connais et que votre besoin de secours intellectuel n'est pas une
frivole inquietude.
Oui, je vous connais sans vous avoir vue; mais n'y a-t-il pas bientot
dix ans que vous m'ecrivez ces grandes lettres ou, au milieu des
contradictions et des troubles d'une pensee ardente, j'ai toujours
trouve, votre bonte si entiere, si spontanee, si naive, et votre
jugement si genereux et si droit en tout ce qui est essentiel!
Demandez-lui de vous indiquer des livres qui vous sauvent, et, faites
mieux, quittez cette solitude ou vous vous consumez, ou ce qui vous
entoure vous laisse et vous _rend_ encore plus seule, je le vois bien.
Je ne connais pas assez M. Jean Reynaud pour vous adresser a lui, sans
qu'il vous connaisse. Mais faites-vous connaitre a lui; son livre m'a
fait un grand bien, a moi aussi, et j'avais grand besoin de trouver,
dans la haute science d'un esprit de premier ordre, la confirmation
raisonnee de tous mes instincts; car mon courage a ete bien eprouve
dernierement!
J'ai perdu une enfant adorable et adoree, la fille de ma pauvre fille.
Je viens d'etre malade, ce qui m'a empechee de vous repondre, et,
maintenant, je suis encore si delabree, que mon fils, mon cher fils,
m'emmene voyager un peu. Je pars dans deux jours. Dans deux mois, je
serai de retour a Nohant, ou vous m'en verrez, j'espere, de meilleures
nouvelles de vous. Avant de rentrer ici, je passerai quelque jours
probablement a Paris. Si vous reali
|