en me toisant d'un air de provocation: "Bonjour, Boucoyran!"
"Bonjour, mon pere!" glapissait l'affreux enfant du milieu des rangs. Et
les officiers, les eleves, les garcons du cafe, tout le monde riait....
Le "Bonjour, Boucoyran!" etait devenu un supplice pour moi, et pas moyen
de m'y soustraire. Pour aller a la Prairie, il fallait absolument passer
devant le cafe de l'Eveche, et pas une fois mon persecuteur ne manquait
au rendez-vous.
J'avais par moments des envies folles d'aller a lui et de le provoquer;
mais deux raisons me retenaient: d'abord toujours la peur d'etre chasse,
puis la rapiere du marquis, une grande diablesse de colichemarde qui
avait fait tant de victimes lorsqu'il etait dans les gardes du corps.
Pourtant, un jour, pousse a bout, j'allai trouver Roger, le maitre
d'armes et, de but en blanc, je lui declarai ma resolution de me mesurer
avec le marquis. Roger, a qui je n'avais pas parle depuis longtemps,
m'ecouta d'abord avec une certaine reserve; mais, quand j'eus fini, il
eut un mouvement d'effusion et me serra chaleureusement les deux mains.
"Bravo! monsieur Daniel! Je le savais bien, moi, qu'avec cet air-la
vous ne pouviez pas etre un mouchard. Aussi, pourquoi diable etiez-vous
toujours fourre avec votre M. Viot? Enfin, on vous retrouve; tout est
oublie. Votre main! Vous etes un noble coeur! Maintenant, a votre
affaire! Vous avez ete insulte? Bon! Vous voulez en tirer reparation?
Tres bien! Vous ne savez pas le premier mot des armes? Bon! bon! tres
bien! tres bien! Vous voulez que je vous empeche d'etre embroche par ce
vieux dindon? Parfait! Venez a la salle, et, dans six mois, c'est vous
qui l'embrocherez."
D'entendre cet excellent Roger epouser ma querelle avec tant d'ardeur,
j'etais rouge de plaisir. Nous convinmes des lecons: trois heures par
semaine; nous convinmes aussi du prix qui serait un prix exceptionnel
(exceptionnel en effet! j'appris plus tard qu'on me faisait payer deux
fois plus cher que les autres). Quand toutes ces conventions furent
reglees, Roger passa familierement son bras sous le mien.
"Monsieur Daniel, me dit-il, il est trop tard pour prendre aujourd'hui
notre premiere lecon; mais nous pouvons toujours aller conclure notre
marche au cafe Barbette. Allons! voyons, pas d'enfantillage! est-ce
qu'il vous fait peur, par hasard, le cafe Barbette?... Venez donc,
sacrebleu! tirez-vous un peu de ce saladier de cuistres. Vous trouverez
la-bas des amis, de bons garcons, tripl
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