issant une
_revolution silencieuse_. Cette revolution, qu'il se flatte d'avoir
commencee, s'est continuee jusqu'a la derniere guerre, la guerre
civile, dont elle fut la cause reelle, tandis que l'esclavage n'en
etait que le pretexte.
Cet antagonisme persistant entre la republique et la democratie est si
bien fonde aujourd'hui aux Etats-Unis, que depuis 1856 il divise
le peuple et les chefs de partis en deux camps bien distincts: les
republicains et les democrates.]
Mais la revolution francaise ne s'accomplit pas dans les memes
conditions. Elle eut un caractere tout a fait different. Elle ne fut
pas provoquee par une violation momentanee des droits du peuple et du
citoyen. Elle ne repondit pas a une atteinte immediate portee par le
pouvoir a des libertes depuis longtemps acquises. C'etait une revolte
generale contre un ordre de choses etabli depuis l'origine de la
nation. Ce fut comme un debordement de tous les instincts vitaux de
la France, qui, apres vingt siecles de compression et de misere,
bouleversa la societe et brisa aveuglement tous les obstacles qui
s'opposaient a son expansion.
Pendant cette longue periode, la situation du peuple, a la fois courbe
sous le despotisme royal, sous la tyrannie des seigneurs et sous
l'absolutisme intolerant du clerge, avait ete plus miserable que celle
qui aurait resulte du plus dur esclavage. Ce ne fut pas seulement un
bouleversement politique que les Francais durent accomplir, ce fut
aussi une transformation sociale complete. La haine s'etait accumulee
dans la masse de la nation contre tout ce qui tenait de pres ou de
loin a l'ancien ordre de choses. La corruption des moeurs des grands
avait depuis longtemps souleve contre eux le mepris public[78]. Aussi,
lorsque le desordre des finances forca la royaute a faire appel
au pays en convoquant les Etats Generaux, toutes les legitimes
revendications des droits de l'homme et du citoyen se firent jour
a travers cette breche faite au _bon vouloir_ royal. Le pouvoir,
gangrene dans tous ses membres et sans appui moral ni materiel dans
la nation, attaque par cette meme noblesse blasee et voltairienne qui
jusque-la avait seule fait sa force, ne put opposer qu'une faible
digue au torrent qui montait toujours. Et quand la monarchie s'ecroula
sous le poids de ses iniquites, le peuple, enivre de son triomphe, mis
tout a coup en possession d'une liberte dont il connaissait a peine le
nom, fut saisi d'une sorte de frenesie sans exemple dans
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