r ces opinions. S'il m'est permis de parler
en toute connaissance de cause sur le role que joua La Fayette en
Amerique, je n'ai pas la pretention d'apprecier plus exactement et
avec plus de justice que ses compatriotes eux-memes les actes que
ce general accomplit dans sa patrie. Je veux croire aussi que la
versatilite particuliere a l'esprit des Francais n'a aucune part dans
les reproches qu'on lui adresse ou dans les accusations dont on le
charge. Mais il me semble que si l'on veut rechercher la cause de
ces divergences d'opinion des deux peuples sur le meme homme, on la
trouvera surtout dans la difference des caracteres de ces peuples, des
revolutions qu'ils ont accomplies et des resultats qu'ils ont obtenus.
La revolution americaine fut faite dans le but de maintenir plutot que
de revendiquer des libertes politiques et religieuses acquises par les
colons au prix de nombreuses souffrances et de l'exil, libertes dont
ils jouissaient depuis des siecles et qui avaient ete brusquement
meconnues et violees. Ils ne firent que chasser de leur territoire[76]
les Anglais qu'ils avaient consideres jusque-la comme des freres et
qui ne furent plus pour eux que des etrangers des qu'ils voulurent
s'imposer en maitres. Ils fonderent aussi leur puissance future sur
l'union de leurs divers Etats qui conservaient leur autonomie. Une
fois l'ennemi vaincu et l'independance proclamee sans contestation, il
ne restait plus aux Americains qu'a jouir en paix du fruit de leurs
victoires[77]. Qui aurait songe a elever la voix contre ceux qui les
avaient aides a reconquerir cette independance et ces droits? Les
Francais qui vinrent a leur secours obtinrent donc les temoignages les
plus sinceres et les plus unanimes de la reconnaissance publique, et
La Fayette plus que tout autre s'etait rendu digne de cette gratitude
universelle.
[Note 76: Ils avaient l'habitude de designer la mere patrie du nom
tres-doux de _Home_.]
[Note 77: Quand Jefferson revint en Amerique en 1789, il rapporta de
Paris les idees liberales et genereuses qui tourmentaient alors la
societe francaise au milieu de laquelle il avait vecu quelque temps.
Leur triomphe en Amerique devait etre le mobile de sa conduite
pendant le reste de sa vie. Ce n'etait pas tant un republicain qu'un
democrate, et sous ce rapport il offre le plus frappant contraste avec
Washington. Il se proposa, suivant ses propres paroles, de modifier
l'esprit du gouvernement etabli en Amerique en y accompl
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