s? Traversons la petite ville, ce sera fait en cinq minutes, et
allons nous asseoir sous les grands arbres tailles en muraille du parc
de Bizi. C'est un heros qui les planta. Le marechal de Belle-Isle, qui
avait herite la magnificence de Fouquet, son grand-pere, crea dans ses
courts loisirs le parc de Bizi. "Quand il n'etait pas a Metz, dit
Barbier, il etait dans sa terre, pres de Vernon, dirigeant une armee de
terrassiers, de macons, de jardiniers et de decorateurs." On ne lui
enviera pas son fastueux repos si l'on songe a ses fatigues. Qu'on
relise cette retraite de Prague, quand le marechal, investi par
l'ennemi, sortit de la place avec quinze mille hommes qu'il reussit a
rendre, pour ainsi dire, invisibles, et qu'il conduisit a Egra, en sept
journees de l'hiver le plus rigoureux. Officiers et soldats, roules dans
leur manteau, couchaient sur la neige. Le vieux marechal, qui souffrait
de la goutte, dormait dans un carrosse qu'on abritait derriere un mur de
neige. L'operation etait de plus delicates et exigeait, parait-il, une
habilete consommee. Mais le merite d'une retraite n'est guere reconnu
que par les gens de l'art. Le public n'en est jamais touche. La retraite
de Prague accrut en meme temps la gloire et l'impopularite du marechal
de Belle-Isle. Ce grand homme de guerre fut alors beaucoup chansonne.
Parmi les chansons dont on le tympanisa, il en est du moins d'assez
jolies. Il y a de l'esprit dans le couplet que voici:
Quand Belle-Isle est parti,
Une nuit,
De Prague a petit bruit,
Il dit,
Voyant la lune:
Lumiere de mes jours,
Astre de ma fortune,
Conduisez-moi toujours.
L'excellent duc de Penthievre habita Bizi. Les fraisiers des bois
portent temoignage de sa candeur et de sa bonte. Car le duc ecrivait en
1777 a son intendant:
"J'ai appris ... que l'on desolait les habitants de Vernon en les
empechant de prendre des fraises dans les bois ... On trouvera le secret
de me faire hair, et cela me procurera un de plus vifs chagrins que je
puisse avoir en ce monde."
Je cite cette lettre d'apres le texte qu'en donne M. Adolphe Meyer dans
son histoire de Vernon. Elle est vraiment d'un bon homme.
Par une singularite merveilleuse, le duc de Penthievre unissait la foi
chretienne aux vertus philosophiques. Il tenait a l'ancien regime par sa
naissance, mais par ses moeurs il contentait l'esprit nouveau. Comme,
d'ailleurs, il etait etranger aux affaires publiques, sa bienfaisance
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