Devant eux, Notre-Dame etait assise sur un trone,
tenant son enfant divin dans ses bras. Les trois fils de Mme d'Eppes
n'avaient jamais vu, de Laon a Soissons, un si bel ouvrage de sculpture.
Cette Vierge etait taillee dans le bois apporte par la princesse
Ismerie, et ce bois etait noir pour exprimer les tenebres epaisses qui
enveloppaient encore l'ame de la fille du calife. Mais il etait
environne d'une lumiere deleste, en signe que la lumiere dissiperait ces
ombres funestes. Et ceci est a mediter que ce bois, venant du sejour
d'Eve, etait noirci par le peche de la premiere femme, mais que la
figure de la Sainte Vierge y paraissait resplendissante, parce que la
faute d'Eve a ete rachetee par celle a qui l'Ange a dit Ave. De telles
idees, peu accessibles aux hommes d'aujourd'hui, etaient aisement
sensibles aux religieux qui meditaient dans les cloitres et dans les
deserts.
A la vue de cette image merveilleuse, les trois freres se recrierent a
la fois, et chacun demanda aux deux autres comment ils avaient pu
accomplir en une nuit un si prodigieux travail. Mais tous trois jurerent
avec un grand serment qu'ils n'y avaient point de part. Et il 'etait pas
vraisemblable, en effet, qu'aucun d'eux eut ete assez habile pour
achever si rapidement une tache si difficile.
Il est donc croyable que cette image fut taillee par les anges ou, plus
vraisemblablement, par la bienheureuse Vierge Marie elle-meme, a qui les
trois fils de Mme d'Eppes avaient une devotion speciale et qu'ils
avaient invoquee en cette occasion. Quand la princesse Ismerie revint a
la prison, voyant la Vierge radieuse et noire, elle pleura et elle
adora. Tout soudain, elle fut desabusee de la fausse religion de Mahomet
et convertie a la foi de Jesus-Christ. Et les trois fils de Mme d'Eppes,
augurant alors que cette image viendrait leur delivrance, l'appelerent
leur Dame de Liesse, c'est-a-dire de joie.
Cependant, le calife demandait chaque jour a sa fille si la conversion
des trois chevaliers s'achevait heureusement, et la princesse Ismerie
repondait avec prudence qu'il restait encore de ce cote quelques progres
a faire. Elle parlait de la sorte pour qu'il lui fut permis de retourner
a la prison des chevaliers. Mais elle etait deja resolue a assurer leur
evasion et a fuir avec eux.
Quand tout fut prepare pour l'execution de ce dessein, la fille du
calife prit les pierreries et les joyaux qu'elle put trouver dans le
palais, et sortit de nuit, par une porte
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