ire adorer les dieux de leur race.
Donc, la princesse Ismerie se montra aux trois fils de Mme d'Eppes. Ils
furent eblouis a sa vue. Elle parla. Sa bouche etait plus redoutable que
ses discours. Ils admiraient une si belle personne; ils la redoutaient
bien plus qu'ils n'avaient redoute le vizir et les docteurs, et, pour
qu'elle ne changeat point leurs coeurs, ils resolurent de changer le
sien.
"Enseignons-lui la verite, qu'elle est digne d'entendre, dit le
chevalier d'Eppes a ses freres. Bien que moins habile a discourir qu'a
manier la lance, nous trouverons peut-etre des raisons convenables, avec
l'aide de Notre-Seigneur Jesus-Christ, qui a dit a ses apotres: "Si vous
avez a rendre temoignage de moi, ne vous preoccupez point de ce que vous
aurez a dire. Je mettrai moi-meme sur vos levres des paroles pleines de
sagesse."
Les deux freres approuverent la parole de l'aine, et aussitot ils
travaillerent tous trois a instruire la fille du calife dans la religion
chretienne.
Ils lui exposerent la doctrine avec les miracles et les propheties. Ils
lui parlerent notamment de la tres sainte Vierge Marie, a qui ils
avaient une devotion particuliere, et ils conterent les miracles qu'elle
avait accomplis dans toute la chretiente et specialement dans le pays de
Laon. Ce qu'ils dirent de la reine des cieux parut si remarquable a la
jeune Ismerie qu'elle demanda si elle ne pourrait pas voir cette Vierge
en image, telle qu'elle est representee dans les temples des chretiens.
Les trois chevaliers repondirent qu'ils n'avaient dans leur prison
aucune image de cette sorte, mais que, si on leur apportait du bois, ils
s'efforceraient d'y tailler une figure a l'exemple des bons imagiers de
leur pays.
Ils parlaient de la sorte emportes par le zele du coeur. Mais lorsque la
princesse Ismerie leur eut fait apporter une bille de bois, avec un
ciseau et un maillet, ils se trouverent fort empeches: l'art de tailler
une image qui semble vivre et respirer ne s'acquiert que par de longues
etudes. Le bois ne se laissait meme pas entamer. Il faut dire que
c'etait le tronc d'un de ces arbres qui viennent du paradis terrestre et
que le Nil apporte dans ses eaux jusqu'aux rives d'Egypte.
Les trois fils de Mme d'Eppes s'endormirent devant le bloc sans avoir pu
seulement le degrossir.
A leur reveil, ils furent bien surpris de voir que leur tache etait
achevee, et que l'image de la Vierge brillait dans le cachot d'un eclat
suave et merveilleux.
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