L'ombre d'Elpenor demande un tombeau a Ulysse; les
naufrages de l'Iroise viennent frapper avec leurs ossements les portes
des pecheurs. Dans le monde celtique comme dans le monde hellenique, les
morts ont une terre a eux, separee de la notre par l'Ocean, une ile
brumeuse qu'ils habitent en foule. La, l'ile des Cimmeriens; ici, plus
rapprochee du rivage, l'ile sainte des Sept-Sommeils. Les tombes
revetent la meme forme dans la Grece heroique et chez les Celtes (1).
Que dis-je? j'ai vu a Carnac le tombeau d'Elpenor. Seulement la rame y
manquait, et les archeologues, en le fouillant, ont enleve les armes et
les os qui dormaient: c'est le tertre Saint-Michel, qui s'eleve sur le
rivage, "au bord de la blanche mer".
Mais l'hotesse vient m'annoncer que le souper est servi. L'omelette
doree brille sur la table, et l'odeur du mouton parfume de thym emplit
la chambre. Je laisse la mon Homere et mes reveries. N'allez pas croire
au moins que les Celtes etaient des Pelasges et qu'on parlait grec a
Quimper comme a Mycenes.
(1) Dans son livre si methodique et si profond sur "la religion des
gaulois", M. Alexandre Bertrand a solidement etabli, ce semble, que les
peuples a dolmens n'etaient point des celtes. Mais il ne saurait etre
question ici d'ethnographie. On s'y contente d'une vue tres generale du
culte des morts sur la terre de Bretagne, ou plusieurs races humaines se
sont superposees. Et c'est encore M. Alexandre Bertrand qui fait a ce
sujet une remarque judicieuse: "Les religions recueillent, dans le cours
de leur developpement, des elements nouveaux qui les rajeunissent et les
transforment, mais sans qu'elles se debarrassent jamais completement de
leur passe ... "Ces observations trouvent particulierement leur
application dans les pays dont la population, comme en Gaule, se compose
de plusieurs couches successives et diverses de conquerants et
d'immigrants, de complexion religieuse differente, ayant eu chacun leurs
divinites particulieres qu'ils ont du tenter d'introduire dans le culte
national, ou a ce defaut, qu'ils ont du conserver a titre de culte
familial ou de tribu." (Loc.cit., p. 215).
De Carnac (Morbihan), le 4 aout.
Du haut du tertre funeraire, consacre a saint Michel, on decouvre deux
plaines mornes, dont l'une est la terre et l'autre la mer. Au couchant,
l'Ocean s'etend jusqu'a l'arc azure de l'horizon. A gauche, fuient les
noirs rivages de Locmariaker, ou dort, depuis des siecles innombrables,
un chef ba
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